Le premier me répond : « On écoute la musique… ». Cohérent. Je l’approuve. C’est alors que j’entends le second me lâcher froidement : « Oh vous savez, quand on est dans la police, mieux vaut ne pas penser » !
Je ne le laisse pas paraître, mais je suis instantanément refroidi, figé. J’ai encore dans le tête les images que j’ai vues la veille : lors d’une action de désobéissance civile à Bruxelles, organisée par Extinction Rébellion, des citoyens qui manifestaient pacifiquement se sont vus agressés par des autopompes, des sprays au poivre, des coups violents… Je comprends que ces policiers bruxellois sans aucune retenue étaient sans doute aussi mus par cette sentence – est-ce un mot d’ordre ? – : « Mieux vaut ne pas penser » !
Penser, c’est l’essence même de l’être humain, de sa noblesse. « Je pense, donc je suis ! », écrivait René Descartes au début du XVIIe siècle. C’est parce que nous pensons que nous existons, que nous sommes des êtres humains. La différence fondamentale entre un être humain et tous les autres êtres vivants est sa pensée. Alors, refuser de penser, c’est accepter de n’être plus humain.
En 1953, Czesław Miłosz, poète polonais, quittait momentanément rimes et vers pour publier un essai : La pensée captive. Il y montrait comment les régimes totalitaires font disparaître toute tentative de réflexion parmi ce qui reste des citoyens. Essai remarquable, mais qui s’appuie encore sur cette idée que, derrière articles et émissions insipides, il y a un comité central qui, délibérément, veut capturer la pensée pour la soumettre aux dogmes du parti. Aujourd’hui, chez nous, les choses sont différentes. Même pour la police, il n’y a pas de comité central ou de dogmes devant lesquels il faudrait s’aplatir. Reste que le travail d’abrutissement persiste, insidieusement, sans qu’il soit dirigé par qui que ce soit, voire vers qui que ce soit. L’assassinat de la pensée continue, mais sans assassin. Lorsque plus personne ne pensera, qui existera encore ?