La question se pose: de quel progrès social la Macronie pourrait-elle s'enorgueillir à mi-mandat ? La suppression de la Taxe d'habitation, dont 15% des Français étaient déjà exonérés ? Plutôt que sur la crise d'urticaire de Jupiter à cause d'une nomination avortée à la Commission européenne, il vaut mieux s'attarder sur quelques premiers bilans fiscaux et sociaux.
La Présidence des riches confirme son statut.
Cirque médiatique
Le jeune monarque est furax, et c'est surprenant. Alors qu'il savait la candidature de Sylvie Goulard à la Commission européenne abimée par une instruction en cours pour emploi fictif, il a quand même poussé à sa nomination en faisant pression sur les trois chefs de groupes (libéraux, conservateurs et socialistes).
Quand des parlementaires mettent en échec les désirs jupitériens, Jupiter "ne comprend pas". "On m’a dit “votre nom est formidable, on le prend” et puis on me dit finalement “on n’en veut plus”. Il faut qu’on m’explique." Sa colère publique est froide. Il laisse les superlatifs accusatoires à ses sbires dont la jeune secrétaire d'Etat aux Affaires Européennes, ex-cadre de la banque, Amélie de Montchalin: C'est d'abord une crise institutionnelle majeure pour l’Europe parce que sans commissaire français, la Commision ne peut pas se mettre en route". Quand le parlement européen exerce l'un de ces rares droits, c'est une "une crise institutionnelle majeure pour l’Europe"... Voilà de quoi donner envie d'Europe, n'est-ce pas ?
Cette affaire est ridicule. Ridicule non pas pour l'Europe, mais pour l'un de ses prétendus promoteurs, Emmanuel Macron. Elle témoigne de son mépris pour le fonctionnement de ces institutions. A en croire le Canard Enchaîné, le monarque s'est aussi agacé froidement contre BFM qui n'a pas souhaité retransmettre les 3 heures trente de son premier débat sur les retraites. Plus large fut la couverture nécessaire de son hommage aux policiers tués par le terroriste islamiste à la Préfecture de Paris. Le ministre de l'intérieur, qui a rapidement confirmé son statut de benet du gouvernement en réagissant trop vite à l'attentat, tente de se justifier.
Ces élucubrations ne sont que l'écume d'une présidence des (ultra)riches qui abime le pays. La nomination avortée d'une libérale à la commission européenne amuse la gallerie médiatique. Les déboires de Rantanplan-Castaner font sourire ou inquiètent. Mais le travail de sape et de prédation contre la solidarité nationale suscite moins de commentaires.
Gâchis fiscal
Le Sénat s'est intéressé au premier bilan du ruisselement, la suppression de l'ISF et le plafonnement à un taux très bas des revenus du capital et de la spéculation (la fameuse "Flat Tax"). Et la conclusion est, provisoirement, sans appel: il est impossible de savoir si ces milliards de cadeaux aux plus plus fortunés et plus aisés du pays ont servi à grand chose..."Quand bien même des effets se seraient déjà produits, l’absence de données microéconomiques ne permettrait pas de les déceler avec certitude."
- La réforme d’Emmanuel Macron a rapporté 1,7 million d’euros à chacun des 100 Français les plus riches (1,2 million pour l’ISF et 0,5 million pour la flat tax).
- Sur l’ensemble des contribuables qui payaient l’ISF, le gain est en moyenne de 8.338 euros par personne. Mais cette moyenne est trompeuse: 5 % des foyers aux revenus les plus élevés perçoivent 57 % des gains dus à la réforme de l'ISF. Les Sénateurs, comme les auteurs d'un premier rapport pour le gouvernement, confirment que la réforme a été très favorable aux hauts revenus. Et pour la flat tax, les gains sont captés par les 15 % de foyers aux plus hauts revenus...
- La flat tax a coûté 500 millions de moins que prévu grâce à un surcroit de distribution de dividendes: "Les premières données montrent que cette réforme a eu un effet conséquent sur les versements de dividendes." expliquent les auteurs du rapport pour le Sénat. En novlangue libérale, on dit que la réforme a "rapporté" 500 millions d'euros de plus que prévu. Ce qui est vrai, mais occulte l'élément le plus essentiel: l'instauration de la Flat tax a baissé les recettes fiscales et sociales.
- Le coût de la réforme est de 4,5 milliards d'euros par an: 3 milliards sur l'ISF; et entre 1,4 milliard et 1,7 milliard d'euros pour la flat tax, sans tenir compte de la hausse des dividendes qui a été observée en 2018.
Pour l'an prochain, l'examen du projet de budget a permis de dévoiler que la Sécu va perdre 4 milliards d'euros à cause des nouvelles réductions de cotisations sociales décidées par Macron, pour l'essentiel non compensées par l'Etat. Ces 4 milliards de pertes proviennent de la baisse de CSG pour les retraités, des heures supplémentaires désocialisées depuis janvier, et de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat.
On connait la suite de cette histoire - quelques éditocrates s'inquièteront de cette Secu déficitaire. Et la Présidence des Riches prendra les "mesures nécessaires qui s'imposent", à savoir réduire les prestations sociales, les pensions et/ou les indemnités chômage. On argumentera, à raison, que les prélèvements obligatoires sont encore élevés. On mentira ensuite par omission, à dessein, en occultant que l'essentiel des dépenses "obligatoires" (santé, éducation, retraite, chômage) ne sont qu'une socialisation de dépenses qui de toutes façons existeraient dans un système privatisé. Aux Etats-Unis où la pré-campagne présidentielle fait déjà rare, le coût de la seule santé est de 17% du PIB . D'après l'OMS, les Américains dépensent plus de deux fois plus que les Français en soins médicaux par habitant.
Bref, Macron donne d'une main (9 milliards d'euros d'économies nettes annoncées pour les ménages) ce qu'il reprend de l'autre, comme la réforme de l'assurance chômage (3,8 milliards d'economies), ou la hausse non compensée de la fiscalité énergétique (+2,4 milliards), ou la réduction de ... 4,2 milliards du budget de la Sécu par rapport à la progression naturelle de ses dépenses (quelle coïncidence !), dont 830 millions sur les hopitaux, 920 millions en déremboursement de médicaments et 600 millions sur les actes médicaux. Par ailleurs, les prestations sociales
A propos du chômage, même le gouvernement s'attend à une forte hausse du nombre de chômeur en fin de droits - 375.700 bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique, soit +10 %.
Précarisation des salariés, premier bilan
Sur le terrain de l'emploi, deux études donnent un éclairage redoutable sur la politique de l'emploi de la Macronie. Les prud'hommes ont publié leur évaluation.
Rappelons les reculs sociaux portés par cette réforme: primauté de l’accord d’entreprise sur l'accord de branche; création du "CDD de projet", suppression des CE, DP et CHSCT au profit d'une instance unique (le CSE), création de la rupture conventionnelle collective; assouplissement des règles qui gouvernent les licenciements pour motif économique telle que l’obligation de reclassement, l’ordre des licenciements, le périmètre géographique de l’appréciation du motif économique, plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Reprenant l'odieuse antienne de la droite, et de François Hollande, sur la prétendue "peur d'embaucher", Macron avait sabré dans le Code du Travail pour précariser davantage les salariés et améliorer le rapport de force en entreprise en faveur des employeurs. Le résultat de ces études est assez lumineux, les salariés ont bel et bien été davantage précarisés depuis deux ans:
- Le nombre de contentieux prud'hommaux ont baissé de 15 à 20% par an (120 000 recours en 2018 contre 150 000 en 2016), malgré un contexte social toujours tendu.
- Les saisies prud'hommales des salariés modestes sont en chute libre, alors que les cadres continuent de porter plainte autant qu'avant. En d'autres termes, "grâce" à la réforme Macron, seuls les contentieux à fort potentiel de gain, "le contentieux 'des riches'" est "rentable". Ce que l'on constate, c'est que ceux qui sont éjectés des conseils de prud'hommes, ce sont les pauvres et les précaires."
- Le nombre de dossiers de harcèlement et de discrimination, deux causes qui échappent au plafonnement des indemnités imposé par Macron, a sans surprise explosé.
- L’encadrement des indemnité est parfois contesté, voire pas appliqué du tout.
- Les salariés préfèrent accepter des transactions modestes de peur de rien toucher aux prud'hommes.
- En entreprises, le nombre de réunions des représentants du personnel a chuté. La réduction du nombre de représentants a aussi été facilitée par la possibilité de créer des établissements autonomes - "diviser pour régner". "Le passage au CSE renforce la logique de concentration et de centralisation" note les auteurs de l'étude de Matignon.
- L'assymétrie des négociations sociales, en faveur des employeurs, s'est renforcée. "On ne peut donc pas dire que les négociations se soient produites dans un contexte d’équilibre entre les parties prenantes",
Serait-ce la fin de cette "politique de l'offre" si vieille, si obsolète ?
Ami castor, où es-tu ?