La différence et l’opposition entre réel et imaginaire ont l’air d’une évidence dans notre civilisation. Réel, c’est ce que je vois, ce que la science m’a appris comme étant vrai ou ce que quelqu’un m’a démontré, avec des arguments rationnels. Le reste, ce n’est que de l’imagination, du rêve, des fausses impressions ou bien des hallucinations.
Pour les chamans de Sibérie, le monde de l’imagination, le monde des esprits n’est pas irréel, il est juste invisible. Cela n’est pas une simple naïveté primitive – dit Stépanoff – mais quelque chose que la psychologie moderne et les neurosciences commencent depuis quelque temps à redécouvrir : "L’imagination ne nous projette pas dans un monde irréel, elle constitue au contraire une forme d’interaction avec le monde sur un mode mental qui est complémentaire à nos interactions motrices (visibles) et qui nous aide à maîtriser et approfondir celles-ci". Cette perception du monde a des conséquences pratiques : médicales, sociales/politiques et écologiques. Par leurs voyages dans l’imaginaire, les chamans savent inventer des rituels qui guérissent, car la maladie et le mal-être ont une cause non-visible. Même s’ils n’y arrivent pas toujours. Depuis quelque temps, et malgré la domination du positivisme, la médecine moderne commence aussi à accorder de plus en plus d’attention aux causes psychiques des maladies.
Socialement, les chamans ont un statut privilégié et respecté, sans qu’ils soient pour autant une caste séparée de la communauté. Au contraire, ils mettent leurs capacités au service de celle-ci, c’est le sens même de leur travail et de leur existence. Même si l’auteur ne l’affirme pas d’une façon explicite, on ne peut pas manquer de voir ici un message pour les dirigeants politiques d’aujourd’hui.
Du point de vue de l’écologie, la réalité de l’imagination et des esprits crée de l’empathie pas seulement envers les humains, mais aussi envers les animaux, les plantes et la nature en général. Ainsi, l’idée que l’homme puisse dominer la nature est pour les chamans une aberration : leur pouvoir n’est possible, au contraire, que par l’immersion totale, réelle et imaginaire, dans l’univers. Le message du livre n’est pas que les chamans sont des précurseurs de la psychologie moderne, mais qu’ils sont porteurs d’une connaissance de l’esprit humain qui a été toujours présente, dans une forme ou autre. Nous voyageons tous dans l’invisible dans nos rêves éveillés, dans l’anticipation, dans la fiction, dans l’interprétation de nos souvenirs. La question n’est pas d’idéaliser les chamans, ni de retourner à un supposé état idéal duquel on se serait éloigné, mais tout simplement d’étendre notre champs de vision. Et de ne pas être aveuglé par notre discutable supériorité en face d’autres façons de voir, et de vivre, le monde.
*Voyager dans l'invisible. Techniques chamaniques de l'imagination de Charles Stépanoff - Editions la Découverte, août 2019 Il y avait longtemps… La pause estivale nous avait presque fait oublier la diarrhée verbale de notre président. La rentrée terminée, c’est reparti. Parce que l’ego des hommes et des femmes politiques – entre autres – est sans limites, et...