Critique de N’écoutez pas, mesdames, de Sacha Guitry, vu le 2 octobre 2019 au Théâtre de la Michodière
Avec Michel Sardou, Nicole Croisille, Lisa Martino, Carole Richert, Patrick Raynal, Eric Laugerias, Laurent Spielvogel, Michel Dussarrat, Dorothée Deblaton, dans une mise en scène de Nicolas Briançon
Je me souviens de la réaction des twittos lorsque l’affiche de N’écoutez pas mesdames est parue : plutôt indignée. Evidemment, Michel Sardou au théâtre, ça va faire parler, mais c’était surtout de le voir seul sur l’affiche, dans cette position plutôt risible, son nom en énorme surplombant le reste de la distribution, qui en a dégoûté plus d’un. Certes, je ne trouvais pas non plus l’affiche très réussie, mais c’est la loi du marketing de mettre en valeur ses noms pour attirer le public. Et après tout, c’est aussi sur un nom que je me suis décidée à aller voir le spectacle : celui de Nicolas Briançon, metteur en scène dont je ne rate (presque) aucun spectacle, et qui m’a habituée au meilleur. On lui pardonnera bien un raté.
La pièce s’ouvre sur Daniel, seul, face au public et d’ailleurs conscient de l’être, qui explique avec la géniale plume de Guitry les différents torts des femmes à ses yeux. Puis on comprend mieux sa diatribe lorsque l’histoire commence sur le plateau : sa femme a découché pour la deuxième fois en quelques semaines, et lui sert la même excuse qu’il réfute cette fois-ci. Persuadé qu’elle le trompe, il décide donc de divorcer. Apprenant cela, son ancienne épouse revient en grande pompe chez lui pour le reconquérir, créant évidemment des situations rocambolesques.
Faisons un rêve, du même auteur, est l’une des mes pièces préférées. Briançon l’avait d’ailleurs montée avec brio il y a quelques saisons, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu lui faire confiance sur ce coup-là. Si on entend les accents incisifs de Guitry, j’ai trouvé la pièce moins bien construite que ce que je connaissais de l’auteur : elle fait moins « tout ». Les scènes semblent moins corrélées les unes aux autres, ou peut-être est-ce simplement l’histoire qui prend moins. A quelques jours du spectacle, j’aurais déjà du mal à résumer la pièce en plaçant les différentes péripéties dans le bon ordre.
Mais la pièce aurait pu davantage me plaire avec un autre comédien dans le rôle de Daniel. Il faut bien le reconnaître : Michel Sardou est un problème dans cette distribution. Il fait le job de comédien comme le ferait un amateur : il dit son texte mais n’y insuffle pas suffisamment de vie. Le début de la pièce, par exemple, est exquis – du Guitry comme on l’aime – mais il le joue sans saveur (et avec quelques petits problèmes de dictions probablement liés au poids des ans). Il dit, sans réciter, mais sans âme non plus – c’est trop monotone pour du Guitry ! On imagine sans difficulté Briançon lui-même dire ce texte avec cette légère ironie qu’on pouvait retrouver dans Le canard à l’orange et dans son précédent Guitry. C’était un personnage pour lui. M’enfin.
Le reste de la distribution se défend plutôt bien mais comme tout tourne autour de Daniel, je suis restée sur ma faim malgré la belle prestation de Lisa Martino qui apparaît comme un diamant, éclatante à côté du jeu terne de son partenaire. Laurent Spielvogel et Eric Laugérias, qu’on croise souvent dans les spectacles de Briançon, composent des personnages au poil, dans le genre rigide pour l’un, comique pour l’autre. J’avoue avoir été un peu déçue par la proposition de Nicole Croisille, qui semblait toujours un peu forcée ce soir-là. Par contre je n’ai pas du tout adhéré à la direction de Carole Richet, qui certes interprète une ex dont le métier de « poétesse » rappelé à plusieurs reprises semble souligner la folie du personnage, mais pour qui on aurait pu trouver d’autres manières de représenter l’extravagance que par des cris répétés : il aurait peut-être fallu trouver quelque chose dans le rythme, dans le regard, dans l’attitude pour venir compléter la puissance des décibels.
Je suis déçue car les spectacles de Briançon me font habituellement l’effet d’une bouteille de champagne : ça explose de partout, c’est joyeux et savoureux et on en sort ragaillardi. Ici, de ma bouteille de champagne, je n’ai eu que le pschit. Tout ce qui d’habitude me ravit m’a semblé ici un peu terne : par exemple, je m’avoue un peu déçue aussi par le décor. Je n’ai pas compris l’utilité de cet ascenseur qui alourdit encore le tout – j’ai d’ailleurs cru qu’il avait été là parce qu’à un moment Sardou aurait besoin de monter à l’étage, ce qui n’est pas le cas. Moi qui adore les propositions du metteur en scène d’habitude, légèrement désuètes dans le cas du Canard à l’Orange par exemple, j’ai trouvé celui-ci bien compliqué avec ses deux étages.
On attendra donc le deuxième Briançon de la saison : le rendez-vous est pris en mai au Théâtre du Rond-point.