Beyoncé : Homecoming

Par Gangoueus @lareus

Lors de son spectacle à Coachella en avril 2019, Beyoncé a fait une œuvre magistrale. Elle a créé un spectacle grandiose, avec une équipe de plusieurs artistes sur scène. L’enjeu : représenter la culture noire américaine. Le documentaire nous permet de voir les coulisses de son concert. Poignant, créatif, intelligent, il révèle une facette moins connue de la chanteuse. Souvent considérée comme une sex-symbol, on ignore souvent que l’interprète de Run the World (Girls) est aussi une activiste des temps modernes.


Introduction 

Le documentaire de la chanteuse Beyoncé, sorti le 17 avril 2019 sur Netflix (réalisé par elle-même et Ed Burke, et produit par sa propre maison de production Parkwood Entertainment) (1) , a permis de voir encore une fois, la portée activiste de la texane. En effet, particulièrement depuis « Beyoncé » (2), elle a pris une dynamique afro-féministe, engagée. On se rappelle sa prestation au Superbowl, en 2016, et les tenues et coiffures pro-activistes. On a ainsi pu voir, de plus en plus (confirmé dans le dernier film de Disney The Lion King sorti cette année), un tour de force artistique chez la chanteuse de Single ladies : put a ring on it ; celle-ci remet la culture noire et africaine en avant, faisant même se lever des voix qui critiquent l’appropriation culturelle de l’artiste à l’endroit des africains (3). 
Ce concert est tourné lors du festival Coachella (4) , sur sa communauté. Beyoncé Knowles dédie à cette dernière un film, en tentant de montrer les forces des étudiants noirs, leur créativité, leur intelligence et leur résilience. Elle construit donc son film sur deux axes; d’abord en mettant en scène des images attractives, des danses, des prestations artistiques; puis en mettant aussi en avant les discours de leaders noirs ou ses propres mots. 

I. La forme 

a. Insertion de citations

Le film de Beyoncé commence avec une citation de Toni Morrison: « Si on laisse le vent nous emporter, alors on peut voler. ». Un bel hommage, avant le décès de cette immense auteure, décédée en août 2019. Tout au long du documentaire, de ce qui est le live du concert de sa participation au Festival Coachella, elle ressuscitera ainsi la parole des penseurs noirs. Des   penseurs comme W.E.B. Dubois, Alice Walker, entre autres. Une manière de rendre hommage à ces auteurs et intellectuels noirs, qui sont la preuve de la force afro-américaine, la preuve que cette communauté possède du mérite, suffisamment pour former ses semblables. Car l’artiste, on le comprend tout de suite, désire honorer les universités noires, elle avoue elle-même qu’elle rêvait aller dans l’une d’entre elles ; mais que finalement, la vie fut son professeure. En affirmant cela, la chanteuse brise le mythe des universités dites ivy league, et apporte son estime à ces cadres et institutions vus comme des piètres choix, des universités de seconde zone. 
Nous citons : 
Il faut voir et revoir son entrée en scène pour en apprécier toute la saveur. Beyoncé en reine nubienne, robe lamée, bâton en main, cède en un instant la place à Beyoncé, encore étudiante à l’université, perchée sur des gradins en pyramide, à la tête d’une gigantesque fanfare. Et pas n’importe laquelle : la fanfare traditionnelle des HBCU (Historically Black College and University), ces universités créées par les afro-américains à la fin du XIXe siècle (et toujours actives aujourd’hui), afin d’accéder à l’enseignement supérieur que l’esclavage et la ségrégation leur interdisaient alors l’accès aux campus blancs. Soit une centaine de musiciens, chanteurs et danseurs, tous en tenue de parade, tel un deuxième public qui ferait face à la foule. (5)

La force de la chanteuse est de ne pas s’enfermer dans un rôle de sex-symbol, mais de pouvoir, comme dans ce que nous dit cette citation, imposer un débat. La fanfare, entre autres, représente l’esprit festif noir, son audace et sa voix. Les jeunes pris sur scène, sont les représentants de milliers d’autres, dont la valeur est souvent niée. 

b. Chant, interviews, danse 

Le documentaire musical prend une forme attrayante. La chanteuse le dit elle-même, elle désirait qu’il y ait le meilleur, aussi bien au niveau des chants, que des danses, des diverses manifestations théâtrales. On voit les coulisses de son concert, son exigence face à ses attentes. Loin de vouloir simplement assumer son rôle d’artiste, d’entertainer, elle veut faire passer un message ; que ses danseurs, chanteurs et musiciens prennent d’assaut la scène. Ainsi, elle ne désire plus se montrer, elle, mais choisit d’utiliser l’opportunité de ce festival pour envoyer un message. L’audience est comme piégée face à cette prestation politique. 
  Beyoncé s’affiche en compagnie d’une bande douée, excitée. L’enthousiasme nous parvient par le concert lui-même, mais se voit aussi dans les images des coulisses. Un message doit être passé par chaque danseur, chanteur, musicien. Le film est donc noir. Une sensation étrange étreint donc le téléspectateur, la sensation que quelque chose se passe, dans ce film, dans ce projet. La noirceur montrée avec autant de liberté, les mimiques, les formes des femmes, les timbres des voix, les styles, tout résonne noir. Le public cosmopolite pourtant ne paraît pas confus, il réagit à ce spectacle avec ferveur, après tout, c’est un concert de Beyoncé. Les chansons connues sont pour ainsi dire recustomisées. Mais déjà, Beyoncé n’est plus Beyoncé, elle est une autre. Sur cette scène, elle est une activiste. Elle est une noire pleinement, elle paraît même nier la présence des autres ethnies, communautés présentes ; elle ne chante, ne danse que pour une fraction. 

c. Intimité, promotion 

Dans ce spectacle grandiose, Beyoncé Knowles-Carter expose une part d’elle-même. Réservée sur sa vie personnelle en général, elle y partage pourtant son expérience de mère (sa dernière grossesse), mais aussi sa proximité avec son mari, ou sa fragilité. Les participations au Beychella permettent d’apprécier le passage de plusieurs amies comme les Destiny’s Child ou sa jeune sœur. Dans le film, la chanteuse parle sans filtre. L’artiste casse le mythe, du moins elle essaie. Elle n’oublie cependant pas de porter sa tiare ; de marcher, féline, altière, sur une pyramide haute de plusieurs mètres, sans se départir de son sourire. 

II. L’activisme 

a. La chanteuse concernée par les universités noires 

Cela fait déjà un moment que Beyoncé a pris un tournant politique. Elle affiche une attitude plus noire, et accepte de montrer ouvertement sa communauté. Avec l’album Lemonade, sorti en 2016, elle nous avait montré cet aspect, plus en détail. Cette négritude qu’elle a affiché, aussi bien dans la mise en scène de sa dernière grossesse, que lors de son passage aux Grammys Awards de 2016. Cela demande de l’assurance. Cette assurance vient sans doute de la notoriété et de la canonisation à son endroit, qui, à mon avis, lui ont permis de s’affranchir du format attendu. Comme un ras-le-bol, elle se décide à sortir de sa boîte et d’une production mainstream. Ce qui semble encore être pour beaucoup une lubie, une mode, une simple appropriation à des fins économiques, serait selon moi, l’expression d’une rébellion. La rébellion face à un système qui uniformise et établit des carcans. 
Nous lisons les propos de l’artiste : 
"C'est dur de croire qu'après toutes ces années, j'étais la première femme afro-américaine en tête d'affiche de Coachella", dit-elle dans le documentaire. "En tant que femme noire, j'avais le sentiment que le monde voulait que je reste dans ma petite boîte, et les femmes noires se sentent souvent sous estimées. Je voulais qu'on soit fières et pas seulement du concert, mais du processus, fières de la lutte et reconnaissantes de la beauté qui accompagne un passé douloureux, et qu'on se réjouisse de la douleur, des imperfections, des erreurs qui semblent tellement bien. Je voulais que chaque femme se sente reconnaissante de ses rondeurs, de son audace, de son honnêteté, de sa liberté. Il n'y avait pas de règles, et on a pu créer un espace libre et sûr où aucune de nous n'était marginalisée." (6) 
Cette citation laisse entendre que Beyoncé a vécu la marginalité. Elle affirme partager le sentiment d’invisibilité de sa communauté, elle partage donc les problèmes de représentations qui touchent ledit groupe ethnique. Elle se situe donc ici au niveau d’activiste, et dépasse le seul et simple niveau de chanteuse de Rythme and Blues. 

b. La leader de troupes 

Une chose frappe aux yeux du téléspectateur qui regarde Beychella : c’est la capacité de l’artiste à leader. Elle se montre bonne gestionnaire, et affirme ouvertement ses directives. Sa vision est présentée sur un ton ferme, car elle a envie de partager sa vérité, celle de sa communauté. Elle présente une troupe qui est noire, qui est coiffée à l’africaine. Le choix des tenues, des coiffures permet de voir que l’envie de l’artiste était de ghettoïser le Coachella. L’empreinte noire se lit sur toute la prestation, une prestation énergique, colorée, bruyante, attractive. Comme elle l’affirme, elle a pensé amener sa culture à Coachella. Cette envie se traduit donc en projet actif. Beyoncé produit, réalise, organise, coache, dirige, afin que la culture noire puisse être montrée sans bavure. Les éléments qu’elle juge distinctifs de cette culture (afro-américaine) sont convoqués.  
Nous lisons : 
Cherchant à rendre une rentrée à n'importe quelle faculté historiquement noire, la star a excellé dans sa prestation de Coachella avec des éléments-phares comme une fanfare, une chorégraphie authentique, des costumes symboliques et la formation de son propre club d'étudiantes, Beta Delta Kappa.(7) 
Le spectacle montre la même lignée empruntée déjà auparavant, sa virée féministe. On peut y voir une armée de femmes noires, fortes. Le féminisme qu’elle a prôné dans son titre « Flawless », se voit dans ce spectacle où les femmes ont la part belle. 

c. L’université artistique 

Le film de Beyoncé sur son live de Coachella est la démonstration de ce qu’une femme parvenue au sommet peut faire. La puissance de l’influence. Beyoncé créée littéralement, sous nos yeux, une université artistique. Elle parvient à mettre des étoiles dans les yeux à chacune de ses apparitions, sur cette scène. Ce que l’on voit c’est que désormais, elle ne souhaite plus se définir uniquement comme chanteuse, artiste ; ou ne souhaite pas être juste cela. Elle désire donner en retour. Et cela passe par un retour aux sources. Conclusion Beyoncé est devenue l’une des artistes les plus influentes, comme le montre l’engouement autour de son documentaire. Et comme le révèle l’intérêt qu’elle suscite en général. Elle semble désormais être une forme moderne d’activiste noire, et ce par une stratégie intelligente, via la musique mi engagée mi mainstream. Cet entre-deux lui permet de passer des messages subtiles et de garder un auditoire aussi bien noir que non noir. Intelligente, talentueuse, son art devient à lui tout seul un langage, une torche, un point levé. 
Une analyse de Pénélope Zang Mbapour le blog collaboratif Chez Gangoueus
---(1) Film de 137 minutes appartenant au registre du documentaire musical. (2) Son album éponyme sorti en 2013. (3) Comme le dit Damien Glez dans son Beyoncé et le « Roi lion » : « un nouveau pillage culturel de l’Afrique ? » le 29/07/19 à 13h43. Reconsulté le 10/10/19 à 21h44. https://www.jeuneafrique.com/807937/culture/chronique-beyonce-et-le-roi-lion-un-nouveau-pillage-culturel-delafrique/ (4) Concert qu’elle rebâtira Beychella. Le premier donné en tête d’affiche, par une afro-américaine.(5) Par Odile Le Plas, 17/04/19, « Avec Homecoming, Beyoncé offre un Joyau noir à Netflix », revu le 10/10/19 à 22h20. https://www.telerama.fr/television/avec-homecoming,-beyonce-offre-un-joyau-noir-a-netflix,n6218626.php(6) Citation de Beyoncé, prise ici par Samantha Schnurr dans « 8 choses qu’on a apprises du documentaire de Coachella de Beyoncé, Homecoming », mis en ligne le 19/04/19 à 03h43, lu le 10/10/19 à 22h41. https://www.eonline.com/fr/news/1033674/8-choses-qu-on-a-apprises-du-documentaire-de-coachella-debeyonce-homecoming(7) Samantha Schnurr dans « 8 choses qu’on a apprises du documentaire de Coachella de Beyoncé, Homecoming », idem.