En cette période où il est de bon ton de commémorer les grands événements de notre histoire, on peut être surpris du peu d'empressement des médias à évoquer les 75 ans de la conférence de Bretton Woods. Celle-ci a en effet débouché sur un nouveau système monétaire international, que d'aucuns ont à juste titre qualifié d'ordre monétaire mondial... Je me devais donc d'en dire quelques mots dans ce billet.
Système monétaire international (SMI)
Le système monétaire international (SMI) est de manière simple l'ensemble des règles et institutions qui fixent le fonctionnement monétaire international, c'est-à-dire en particulier le mode d'échange des monnaies entre-elles (cours de change) et la nature des réserves internationales (or, devises...). Durant la première moitié du XXe siècle, deux grands SMI se sont succédé :
* le système de l'étalon-or (Gold Species Standard) jusqu'en 1914, caractérisé par la définition de l'unité monétaire par un poids d'or - d'où la stabilité des taux de change -, la convertibilité de la monnaie en or et la libre-circulation de l'or entre les pays ; l'intervention des autorités monétaires pour éviter les sorties d'or et établir un cours forcé des billets de banque dans un contexte de guerre et d'inflation, est l'un des éléments qui conduisit à l'abandon de ce SMI.
* le système de l'étalon de change-or (Gold Exchange Standard) de 1922 jusqu'au début des années 1930, dans lequel les monnaies ne sont plus convertibles en or directement mais dans les devises étalons - le dollar et la Livre Sterling - pouvant être elles-mêmes convertibles contre de l'or à un taux déterminé. Ce SMI s'est écrasé contre la crise de 1929...
La conférence de Bretton Woods
Face aux nombreuses crises monétaires de l'entre-deux-guerres, les chefs d'États ont pris conscience de l’impérieuse nécessité de créer un système monétaire international stable. Que l'on me permette à ce stade de questionner les décisions prises pour stabiliser le système monétaire après la crise de 2008, puisque je pense avoir assez souvent montré le peu d'empressement des gouvernants sur ces questions pourtant cruciales. O tempora, o mores comme disaient les Anciens...
Nixon signe la mort du SMI de Bretton Woods
Richard Nixon, dans une allocution télévisée du 15 août 1971, décida au nom de l'intérêt des États-Unis de suspendre la convertibilité en or du dollar, signant par là même unilatéralement l'acte de décès du SMI de Bretton Woods :
Ceux qui nourrissaient encore quelques doutes sur la suprématie économique et militaire des États-Unis en furent pour leur frais. Désormais, le dollar jouerait un rôle capital dans la vie économique internationale et les taux de change deviendraient flottants.
Il n'est pas question dans un billet de blog de détailler par le menu l'onde de choc provoquée par la décision américaine de mettre un terme au SMI de Bretton Woods. Tout au plus peut-on rappeler qu'il y eut des tentatives de retour à un système de change fixes (accords du Smithsonian Institute du 18 décembre 1971, Serpent monétaire européen en 1972...), avant que les accords de la Jamaïque de janvier 1976 ne viennent définitivement entériner le système quasi général de flottement des monnaies. Depuis, les États auront tout essayé pour se concerter et l'Europe en viendra à l'idée d'une Union économique et monétaire (la fameuse zone euro !) après l'échec du Système monétaire européen (SME) en vigueur de 1979 à 1992.
Le système monétaire international de 1990 à 2008
Du début des années 1990 à 2008, le système monétaire international se caractérisait par les éléments suivants :
* des flux de capitaux de long terme en provenance des pays de l’OCDE et à destination des émergents (Chine incluse), en raison de la forte rentabilité du capital et d'un faible coût salarial unitaire ;
* une balance commerciale largement et structurellement excédentaire dans les pays émergents ;
* une accumulation massive de réserves de change par les pays émergents, pour éviter l'appréciation trop importante de leur monnaie. Comme rappelé dans ce billet, le plus souvent, en fait de devises, ce sont plutôt des titres en devises (essentiellement des bons et obligations du Trésor en dollars) qui constituent les avoirs de réserve. Ces réserves de change permettent alors aux Banques centrales d'intervenir sur le marché des changes afin de réguler les taux de change, et de maintenir la confiance dans leur monnaie.
[ Source : Natixis ]
Ce système monétaire international était favorable à la croissance mondiale, en ce que les États-Unis s'endettaient auprès de la Chine pour lui acheter ensuite des produits peu chers, d'où le creusement de la balance commerciale aux États-Unis et l'augmentation des réserves de change en Chine.
Le grand chambardement
Mais depuis 2014, on assiste à une dégradation de la situation économique des émergents et de la Chine. Cela a débouché sur d'importantes sorties de capitaux à long terme, qui l’emportent sur les excédents extérieurs des pays, d'où une baisse des réserves de change. En effet, les autorités, en régime de changes quasi fixes, se servent des réserves de change pour stabiliser leur monnaie. Pendant 20 ans, elles ont cherché à empêcher l'appréciation du Renminbi, puisqu'il y avait des entrées massives de capitaux dans le pays ; mais depuis peu, les sorties de capitaux les conduisent à lutter contre une dépréciation.
Ainsi, les Banques centrales des émergents et de Chine ont cessé de facto de contribuer à l’accroissement de la liquidité mondiale, ce qui signifie aussi qu'elles n'achètent plus de titres de la dette des pays de l'OCDE, donc qu'elles ne financeront plus les futurs déficits publics des pays de l'OCDE (États-Unis, zone euro, etc.).
Mais en tout état de cause, le dollar américain reste la seule monnaie internationale :
[ Source : Le Figaro ]
Et si pour finir je vous disais que c'est la zone euro qui semble avoir pris le relai de la Chine pour financer les États-Unis, au moment même où Donald Trump l'accuse d'avoir un excédent commercial trop élevé avec son pays ? À n'en pas douter, nous entrons dans un monde bien plus conflictuel où la concertation sera réduite à la portion congrue, d'autant que les États-Unis mènent ouvertement une politique mercantiliste ! La guerre des monnaies aura bien lieu : O tempora, o mores...