Lecture suivante pour le Prix du polar, le livre anglais Dégradation de Benjamin Myers. Il s’agit du second livre non-francophone de la sélection (sur 7 livres à ce jour).
Dégradation, c’est un livre qui n’est pas ce qu’il prétend être. Une sorte de promesse, jamais tenue, une attente régulièrement repoussée, presque toujours oubliée. D’abord à cause d’un titre trompeur : la faute n’en revient pas à l’éditeur ni à la traductrice – les implications multiples du « Turning blue » anglais sont bien trop complexes à rendre en français. Mais, ce « turning blue » indique l’ambition de l’auteur. Quelque chose de moins cassant que le titre français, de plus subtil. Mais au résultat équivalent : décevant.
L’histoire nous amène dans un trou paumé du Yorkshire, dans une semi-ambiance de culs-terreux, dans cette lande à l’abandon des campagnes perdues anglaises où une jeune fille a disparu. Enfin, disparu… Elle est morte, mais tout le monde la pense disparue. Seulement, le narrateur omniscient nous a déjà révélé les faits, son corps est bien désarticulé, il n’y a plus d’espoir, il tourne au bleu, et l’agitation décrite des policiers qui s’agitent et des inquiétudes ne quelques-uns ne peut aboutir qu’à un échec.
Face à cela, un flic présenté comme un type de génie, tout droit sorti d’une unité spécialisée dans les cold cases, James Brindle, arrive de Londres pour mener l’enquête et, dans une certaine mesure superviser l’équipe locale. Lui ne tourne pas au bleu, il tourne dans son blues – mélange de mélancolie et de défaitisme.
A partir de là, derrière une montagne de promesses ou d’attentes que crée Benjamin Myers, le lecteur s’enfonce dans tout un tas de déceptions. D’abord parce qu’il n’y a pas d’enquête : en plus de savoir que la disparue est morte, le lecteur ne tarde pas à connaître son assassin. Dès cet instant, c’est un enjeu majeur qui vient d’être sacrifié. Ensuite, parce que Brindle qui est le cœur de l’histoire (malgré des allers et venues entre les personnages et parfois les époques), Brindle donc n’est pas un personnage intéressant. Loin d’être ce cador tant vanté, il se laisse vaguement porté par les lieux et les rencontres, et apparaît passif plus qu’autre chose. Ses seuls véritables sursauts interviennent pour dénoncer les erreurs de la police locale. Autrement, les indices lui tombent dessus comme des évidences, ou bien le journaliste Mace se charge de faire le boulot à sa place.
Le style de Benjamin Myers n’aide pas franchement à réconcilier le lecteur avec ces enjeux déjà mollassons : il décide de ne pas mettre ni de guillemets, ni la moindre virgule, sans que cela ne crée le moindre effet (à moins que ce ne soit la traduction française qui ne fasse pas justice à ce choix ? j’en doute). Les phrases gardent une taille standard, et comme l’intrigue elle-même est très plate, rien ne permet de comprendre ce choix rythmique. Aucune fougue à la James Ellroy (lui-même peu amateur de virgule) ou de sentence effrénée comme le faisait régulièrement Benjamin Dierstein (dans La sirène qui fume).
Beaucoup de scènes injustifiées ou douteuses ponctuent le récit ; une narration à personnage variable ici (p. 154-155), une insistance sur un caractère « glacial » que rien ne laisse transparaître (p. 221), un soudain lyrisme aussitôt oublié (« Puis il était devenu un homme un vrai un homme puissant et la graine secrète du mal avait été plantée dans les plus noirs tréfonds de son âme. » p. 157 – qui rappelle l’envolée ratée de Lyautey au début de son bouquin), une querelle d’ego qui vire à du sexe sans préavis (p. 236 – à noter néanmoins que le rapport sexuel est traité avec énormément de pudeur et de finesse, malgré l’incohérence de son apparition soudaine), une digression injustifiée ailleurs (p. 275), ou encore un coup de rage parfaitement illégitime qui est inclus pour faciliter un rebondissement, mais que strictement rien ne justifie au moment où il a lieu (p. 301).
La liste pourrait encore s’allonger. Le livre fait 400 pages. Sur les 50 dernières pages, j’ai raturé en moyenne toutes les 8-10 pages le bouquin à m’énerver seul devant la page imprimée sur les choix minables de l’auteur. Lorsqu’un vague parler jeune (« Non sérieux (…) » p. 343 – pourquoi pas « sérieusement » ? Je crains que, là, ce ne soit une faute de la part de la traductrice) est immédiatement suivi d’une situation grotesque (« Sa main s’immobilise au-dessus de la souris. Attends je vais le faire déclare Mace. J’ai plus l’habitude d’écrire que toi. Il s’installe devant le clavier et commence à taper. Remplit d’autres cases. Paraît hésiter cinq secondes puis continue. » – p. 344… on parle de remplir un banal formulaire ! « J’ai plus l’habitude d’écrire que toi » ?! Pour un formulaire !), je me mets à hurler. C’est trop. Trop de ratés, trop d’incohérences, trop de contradictions.
En vrac, je note : Comme c’est mauvais ! (p. 362) / Mauvaise série B (p. 375-377) / Contradiction totale (p. 382) / Nul (p. 386) / Ellipse nulle, final injustifié, bâclé (p. 402-405).
Dernier point : là où Benjamin Myers avait potentiellement une carte à jouer, avec une sordide histoire de proxénétisme mêlée au crime central et à – au moins – un autre meurtre, là où il vient régulièrement compléter son histoire criminelle pour en préciser les acteurs centraux (dont un qui, subitement se met à tuer de sang-froid une autre personne, alors qu’il était un superviseur et en rien un exécutant – logique, quand tu nous tiens ! p. 392), à aucun moment, strictement jamais, il ne finit par donner les détails qui sont attendus. En quelque sorte, il nous répète pendant des centaines de pages que ce qu’il se passe est horrible, mais ne précise à aucun moment l’horreur. Il ne nomme pas, ne précise aucun détail. Le résultat est catastrophique : il nous sert un vague complot à l’échelle régionale, dont les tenants et aboutissants sont creux, et en prime où les faits commis restent suggérés plus que détaillés (mais, répète-t-il inlassablement, c’est horrible). Tout cela pour tenter une vague resucée de l’affaire (bien réelle) Jimmy Savile qui avait éclaté au Royaume-Uni en 2012. Sauf que… y a rien. Vide.
Un point positif tout de même par rapport à l’ambiance : au milieu de ce grand rien, Benjamin Myers rappelle qu’il a été journaliste spécialisé dans la musique en nous donnant tout un tas de références musicales pour compléter l’ambiance, avec brio parfois (me rappelant la façon dont Dennis Lehane le fait de temps à autre). Manque de chance, c’est au final le seul véritable morceau d’atmosphère réussi dans un polar qui voudrait beaucoup, mais ne fait que donner de faux espoirs.