Coup de cœurPlus jamais esclaves !
de l’insoumission à la révolte, le grand récit d’une émancipation (1492 – 1838)De Aline HelgPar Emmanuel GOUJON
André Malraux disait « les grands rêves poussent les hommes aux grandes actions ». Quel plus grand rêve que la liberté ? Et quel autre rêve peut-on avoir lorsque l’on est esclave ? C’est le récit des modes de réalisation de ce rêve de liberté qu’étudie sur presque quatre siècles Aline Helg dans cet ouvrage. Elle raconte l’histoire des différentes formes d’émancipation mises en place par les esclaves entre la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb et l’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques d’Amérique et des Caraïbes qui mis en partie fin au calvaire de 670.000 hommes et femmes asservis. Ceux des colonies françaises devront attendre encore dix ans…L’intérêt de cette immense étude est de montrer que les révoltes, qui nourrissent la mémoire émancipatrice, n’ont pas été le moyen le plus utilisé par les esclaves pour retrouver la liberté. Les millions d’asservis qui avaient survécus à la traversée de l’Atlantique, ont souvent racheté leur liberté et celle de leurs enfants, par la séduction, le travail ou des actions particulières, ils ont aussi été affranchis par leur maitre. La révolte -- qui suppose un mouvement de groupe et un plan concerté et qui ne peut connaître le succès que dans des conditions bien particulières, nous y reviendrons – a, en termes relatifs, été rare par rapport à tous les parcours individuels qui ont permis à des esclaves de ne plus l’être. Et d’une certaine façon c’est une révélation à plus d’un titre : d’abord parce que cela montre que même déracinés et humiliés, des hommes et des femmes n’ont pas perdu espoir et se sont battus toute leur vie pour retrouver la liberté, avec leurs pauvres moyens, en luttant au quotidien pour déjà survivre, et pour enfin s’émanciper. Ensuite ils ont su s’adapter à un monde totalement étranger et globalement hostile, pour jouer parfois des failles du système, parfois des lois en vigueur, et sortir des chaines. En fait, en dépit de la sujétion, de leur statut de biens meubles, nombre d’esclaves ont vécu leur vie d’hommes et de femmes au quotidien tendus vers un seul but : la liberté. Ils ont été pour un grand nombre d’entre eux les acteurs de leur propre destin. Des révoltes, des insurrections, il y en a eu aussi. Mais la plupart ont échoué. Une seule reste un exemple pour tous les humains enchaînés, celle des esclaves d’Haïti, surtout parce qu’elle a réussi. La victoire d’une armée d’esclaves, dont la grande majorité étaient nés en Afrique, sur une des plus puissantes armées du monde au XIXème siècle, l’armée napoléonienne, a retenti comme un véritable coup de tonnerre dans toutes les Amériques. Elle représente la concrétisation de l’archétype de la révolte d’esclave avec massacres de Blancs fantasmée par tous les colons esclavagistes depuis « la découverte d’une présumée conspiration à Mexico en 1537 ». Leur pire cauchemar. Bien sûr cette révolte est plus complexe que l’image d’Epinal que l’on veut bien véhiculer depuis des siècles. La guerre, qui a fait rage en Haïti de 1791 à 1804, a opposé des esclaves à des soldats français, des métis à des marrons nés en Afrique, des esclaves à d’autres esclaves, des mulâtres à des Noirs libres etc… Mais Aline Helg explique que ce succès de la révolte, qui a abouti à la création de la première République noire et à l’abolition totale de l’esclavage sur son territoire, n’a été possible qu’à cause de conditions géopolitiques et historiques bien particulières. Ce livre souligne aussi qu’une fois la liberté gagnée, les anciens esclaves restaient souvent sans rien. Aline Helg rappelle en conclusion que partout, les émancipateurs « laissèrent les ‘nouveaux libres’ sans compensation pour le travail impayé fourni depuis l’enfance : ni pécule, ni lopin de terre, ni programme d’éducation. Partout et de tout temps, les anciens esclaves se retrouvèrent sans appui face à l’avenir, munis seulement de ce qui restait de leur force de travail et des espoirs qu’ils avaient placés dans la liberté ». Pour ceux qui comme moi sont descendants d’esclaves et héritiers de cette histoire, il y a une certaine reconnaissance pour l’auteur lorsqu’on referme ce livre. Notamment parce qu’il nous permet de voir nos ancêtres, non plus seulement comme des victimes, mais aussi comme des gens qui ont lutté, souvent au péril de leur vie, pour faire le grand saut vers la liberté. La liberté n’a pas de prix. C’est la liberté ou la mort.Plus jamais esclaves !, del’insoumission à la révolte, le grand récit d’une émancipation (1492 – 1838), Aline Helg, Editions La Découverte, Paris 2016, 419 pages.