I.- Les critiques venimeuses du chroniqueur religieux du journal Le Monde, qui s’est fait depuis longtemps une spécialité de cet exercice de style, manifestent que la venue du Saint-Père, le 12 septembre prochain, n’est pas attendue avec une égale impatience.
On connaît la chanson : le Pape Benoit XVI est un réactionnaire, il enterre les réformes conciliaires, fait opérer un retour en arrière à l’Eglise, etc. L’air est connu. Il était déjà chanté du temps de Jean-Paul II, et du temps même de Paul VI et de son impardonnable encyclique Humanae vitae, et par les mêmes gosiers
Le Pape Benoît XVI excite ces fureurs pour une raison supplémentaire. Pour des motifs dont il est difficile, à dire vrai, de saisir le caractère rationnel, certaines franges du catholicisme ont voué une haine farouche aux anciennes formes liturgiques, voire à ceux qui y sont attachés, comme si l’histoire et la sainteté de l’Eglise n’y étaient pas liées elles-mêmes depuis plus de 400 ans. Or voilà que ce Pape, comme on sait, a décidé d’en reconnaître le libre usage, et le plein accès, en les articulant à la forme liturgique devenue, depuis 1969, le droit commun de l’Eglise latine. Ainsi ces formes anciennes ont été qualifiées de forme extraordinaire, tandis que la liturgie issue du deuxième Concile du Vatican est qualifiée de forme ordinaire. Le voilà donc lefebvriste !
II. Ce qui frappe étonnamment en ces querelles, c’est que le grand absent en est le grand concerné : le Christ lui-même. Le Christ vivant entre ses membres déchirés par des querelles absurdes et injustes ; le Christ objet de notre adoration dans un sacrement de l’Eucharistie que toute l’inclination de notre foi devrait nous conduire à vénérer, à magnifier, nous rendant insupportable toute médiocrité. liturgique Sous ces deux présences, tout devrait nous porter à entrer dans les desseins du successeur de Pierre pour que cette sainte Eucharistie soit le bien commun de tous, dans l’union de la paix et de la charité, par une expression liturgique digne de son Objet.
En un mot, la foi nous porte à désirer que la réforme entreprise réussisse enfin, à l’expérience de beaucoup de ratages, de beaucoup de platitudes, de beaucoup de mièvreries et – pourquoi ne pas le dire ? – de beaucoup de sacrilèges. La forme ordinaire a besoin de s’enrichir de la puissance d’adoration de la forme extraordinaire ; celle-ci a besoin de s’enrichir, notamment, de la richesse scripturaire de celle-là. C’est la rectitude et la beauté de notre lex orandi qui sont en jeu, pour toute la catholicité latine. En regard, les amertumes recuites du progressisme paraissent tristement dérisoires.
III. Parmi les réformes introduites, il en est de simples qui ont eu pourtant une influence profonde. Ainsi de l’agenouillement, que beaucoup de clercs se sont crus longtemps en droit de travailler à éradiquer, avec le succès que l’on sait, en supprimant les agenouilloirs ou en rabrouant les fidèles qui s’agenouillaient au moment de communier. L’homme n’était-il pas devenu adulte ? Oublié ce temps où le saint curé d’Ars disait que « l’homme n’est grand devant Dieu qu’à genoux »…Ainsi également de la communion donnée dans la main, après que les mêmes clercs se sont appliqués à moquer les langues tirées et à dénoncer cette peu hygiénique pratique. Beurk. L’homme adulte, de plus, ne reçoit pas : il prend. Charmante époque.
Or voici que le Pape Benoît XVI, secouant quelques torpeurs, a rappelé lors de la dernière Fête-Dieu (22 mai 2008), dans un enseignement dont chacun de vous – sans doute aucun, naturellement – a reçu écho en sa paroisse, que la position normale des fidèles, pour recevoir la sainte Eucharistie, est d’être à genoux. A cette occasion, il avait déclaré :
« A ce point, on ne peut manquer de penser au début du "décalogue", les dix commandements, où il est écrit : “Je suis Yahvé, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude. Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi” (Ex 20, 2-3). Nous trouvons ici le sens du troisième élément constitutif du Corpus Domini : s'agenouiller en adoration devant le Seigneur. Adorer le Dieu de Jésus-Christ, qui s'est fait pain rompu par amour, est le remède le plus valable et radical contre les idolâtries d'hier et d'aujourd'hui. S'agenouiller devant l'Eucharistie est une profession de liberté : celui qui s'incline devant Jésus ne peut et ne doit se prosterner devant aucun pouvoir terrestre, aussi fort soit-il. Nous, les chrétiens, nous ne nous agenouillons que devant Dieu, devant le Très Saint Sacrement, parce qu'en lui nous savons et nous croyons qu'est présent le seul Dieu véritable, qui a créé le monde et l'a tant aimé au point de lui donner son Fils unique (cf. Jn 3, 16). Nous nous prosternons devant un Dieu qui s'est d'abord penché vers l'homme, comme un Bon Samaritain, pour le secourir et lui redonner vie, et il s'est agenouillé devant nous pour laver nos pieds sales. Adorer le Corps du Christ veut dire croire que là, dans ce morceau de pain, se trouve réellement le Christ, qui donne son vrai sens à la vie, à l'univers immense comme à la plus petite créature, à toute l'histoire humaine comme à l'existence la plus courte. L'adoration est une prière qui prolonge la célébration et la communion eucharistique et dans laquelle l'âme continue à se nourrir : elle se nourrit d'amour, de vérité, de paix ; elle se nourrit d'espérance, parce que Celui devant lequel nous nous prosternons ne nous juge pas, ne nous écrase pas, mais nous libère et nous transforme ».
Lors de la récente visite à Santa Maria di Leuca et à Brindisi, le Pape a distribué, là encore, la communion aux fidèles agenouillés, et sur les lèvres. Interrogé sur la question de savoir si cette pratique était destinée à devenir habituelle lors des cérémonies pontificales, Mgr Guido Marini, Maître des cérémonies, a répondu affirmativement, en ces termes rapporté par l’Osservatore romano du 26 juin 2008 :
« Je pense que oui. A cet égard, nous ne devons pas oublier que la distribution de la communion dans la main est toujours, d'un point de vue juridique, un indult par rapport à la loi universelle. [La communion dans la main] a été permise par le Saint-Siège aux conférences épiscopales qui en ont fait la demande. Le mode de distribution de la communion adopté par Benoît XVI vise à souligner la validité de la règle valable pour toute l'Eglise. En outre, nous pourrions peut-être y voir aussi une préférence pour cette manière de distribuer la communion qui, sans s'opposer à l'autre, souligne mieux la vérité de la présence réelle dans l'Eucharistie, contribue à la dévotion des fidèles et introduit plus facilement le sens du mystère. Aspects que d'un point de vue pastoral, à notre époque, il est urgent de souligner et de récupérer ».
En quelque sorte, la communion sur la langue, à genoux, est... la forme ordinaire de la sainte communion dans l'Eglise catholique, et la réception dans la main, la forme extraordinaire. Poursuivant sa réflexion, Mgr Marini a ajouté :
« La liturgie de l'Église, avec les mots, les gestes, les silences, les chants et les musiques nous porte à vivre avec une singulière efficacité ces différents instants de l'histoire du salut, de telle sorte que nous y participions vraiment et que nous nous transformions toujours plus en authentiques disciples du Seigneur, reparcourant dans notre vie les pas de Celui qui est mort et ressuscité pour notre salut. La célébration liturgique, lorsqu'on y participe réellement, induit à cette transformation qui est signe de sainteté ».
« Et une aide dans cette “transformation” peut être ce “repositionnement” voulu dans les liturgies papales de la croix au milieu de l'autel, comme un rappel de l'ancienne “orientation vers l’Orient” des églises : vers le Soleil qui se lève, vers Celui qui vient. La position de la Croix au centre de l'autel indique le caractère central du crucifix dans la Célébration Eucharistique et l'orientation intérieure exacte que toute l'assemblée est appelée à avoir pendant la liturgie eucharistique : on ne se regarde pas les uns les autres, mais on regarde vers Celui qui est né, mort et ressuscité pour nous, le Sauveur. Du Seigneur vient le salut, Il est l'Orient, le Soleil qui se lève, vers lequel nous devons tous tourner le regard, duquel devons tous accueillir le don de la grâce. La question de l'orientation liturgique, et même la façon pratique dans laquelle elle prend forme, a une grande importance, parce qu'avec elle est véhiculée une donnée fondamentale à la fois théologique et anthropologique, ecclésiologique et inhérent à la spiritualité personnelle ».