Les éditions Flammarion publient Les Couleurs de boucherie d’Eugène Savitzkaya.
Présentation du livre sur le site de l’éditeur : « C’est un ouvrage quasiment mythique que la collection Poésie/Flammarion accueille aujourd’hui : parues chez Bourgois en 1980, Les couleurs de boucherie étaient en effet épuisées depuis plusieurs décennies. Il s’agit pourtant d’un des livres majeurs d’Eugène Savitzkaya, composé à la fin des années 1970, parallèlement à ses premiers romans. Avec L’Empire (également repris dans ce volume) on peut même considérer qu’il s’agit de la matrice de toute son œuvre à venir : une plongée sans précédent, par une écriture à proprement dire envoûtée, dans un univers qui a la pureté, la cruauté, la fulgurance de l’imaginaire enfantin. »
Début de la séquence « Boucherie, fabrique »
Pue raphaël, boucherie au prin-
temps, ouvrant sa main blanche
et le trou de sa bouche, jamais
tapissé, ni fleuri, cerné de
feuillage ou de manganèse, pua
au cœur, aux entrailles, ouvrit
et montra l'ombre autour de sa
main, les fleurs dans sa bouche,
les visiteurs, les lys, les é-
pées, puait le martyr, parlait,
boucherie et pré, massacres
et feuilles, ouvrait la bouche, sa
main vierge, et au pré les en-
trailles, morceaux inodores et
boues.
D'un mangeur décapité, d'un four-
be, saint garçon parmi les lions,
la robe, la couleur de tombe, de
feuillage, d'entrailles blanches
et noires, d'un archer, la lin-
gerie, le pourpre à la bouche, à
la main, le badigeon déposé par
le délicat enfant, coloriste ou
coureur sanglé, drapé, d'un ti-
reur, d'un musclé rose, le brin,
la couleur, le bras sans taches
et la proie en bordure de l'her-
bage, dans les fleurs, d'une sen-
tinelle le jardin avec les épis,
les semis, les orants, d'un por-
teur, la ceinture au torse, les
entrailles, la couleur après dé-
collation, la fontaine arrosant,
la jaune fontaine, de l'archer
la fontaine, la couleur, la bou-
cherie, la boue.
Il dévorait. Et puait sa fleur
sous l'averse, dans le printemps,
sur le pré du repas, repas de
couleurs, boue à la roue, au mou-
lin et aux étamines, puait ici
le cycliste légèrement déchiré
à la machine, jaune poupée, blan-
che vermine, puait et mentait,
puni et mordu.
Cria, porta ses draps hors de sa
chambre, les mêla, les colora, l
es mouilla avec l'herbe, les
donna à la fontaine, blanc édi-
fice, les jeta au décor, aux
statues, aux animaux, les dis-
persa aux boues, jaunes bouche-
ries, les perdit et périt,
foudroyé, maitre livide du jeu,
se dévorant l'index ou le cou-
teau, mentant, portant ses draps
au-delà de l'enceinte, aux cata-
pultes, aux sentinelles, les mê-
lant, morceaux et touffes, se
colorant aux buissons, pourpre
sous le feuillage, obscur garçon
devenu, pourpre mort, se mouil-
lant sur le pré avec les trèfles
et les cœurs, se donnant à la
fontaine, voué et pur, se jetant
au feu où il se déchira, voué
et pur, pourpre mort, et dévora le
linge qui puait, les feuilles
autour, au tronc, à la tête,
les figures, les morceaux perdus,
mêlés aux buissons et colorés
de la fontaine, des catapultes
blanches, et dévorant périt,
montrant sa fleur le palétuvir,
son bâton l’épée, l’incarnation,
le linge mouillé, les draps souil-
lés, ses couleurs, ses armes, et
dévorant péri, châtié périt, le
pourpoint aux orties.
Eugène Savitzkaya, Les Couleurs de boucherie, Flammarion, 2019, 224 p., 18€, pp. 207 à 211 (nouvelle édition avec une préface inédite de l’auteur). Le texte est paru initialement chez Bourgois en 1980).
Eugène Savitzkaya dans Poezibao
extraits 1, Nouba (parution), extrait 2, extrait 3, extrait 4, Alain le Bras, portrait en pied… (par T.Hordé), note création, [note de lecture] "Fraudeur", d'Eugène Savitzkaya, par Véronique Pittolo, ext.5, (note de lecture) Eugène Savitzkaya, "à la cyprine" et "Fraudeur", par Jean-Pascal Dubost, (Note de lecture), Eugène Savitzkaya, Ode au paillasson, par Jean-Pascal Dubost, (Anthologie permanente) Eugène Savitzkaya, Ode au paillasson.