Lorsqu’on prévient que tout va mal se passer, on est forcément désolé de constater que tout se passe comme prévu, c’est-à-dire mal. C’est exactement ce qui se déroule avec l’intervention massive des pouvoirs publics dans le domaine de l’Internet.
Cet interventionnisme débridé s’est traduit, ces dernières années, par la mise en place d’un règlement (le RGPD) et d’une directive, dite Copyright.
J’avais ainsi, dans de précédents articles, détaillé la mise en place de ce règlement au départ destiné à protéger les petits internautes, bipèdes un peu idiots que seules les administrations semblaient capables de protéger des entreprises turbocapitalistes ultralibérales assoiffées de leurs données personnelles, et j’avais correctement noté que ces mesures aboutiraient fort probablement à une palanquée d’effets pervers imprévus. C’est sans surprise qu’on découvrait ensuite que ce règlement avait essentiellement défavorisé les petites entreprises et largement favorisé les grosses.
Soit exactement l’effet inverse de celui recherché.
De la même façon, j’avais noté que les agitations incontrôlées du législateur dans le monde de l’internet, poussé aux fesses par les indéboulonnables lobbys des sociétés de droit d’auteur diverses et variées, aboutiraient plus que sûrement à des effets de bords désastreux lorsque fut introduit la directive européenne sur la gestion du droit d’auteur dans le monde numérique. Pour rappel, cette directive prétendait apporter une solution législative soi-disant opérationnelle d’encadrement des usages des biens numériques au regard du droit d’auteur, depuis les citations de presse jusqu’aux liens de page en page, en passant par les mèmes rigolos.
Là encore, sans la moindre surprise, on découvrit assez rapidement que les grosses entreprises s’adaptèrent rapidement à la nouvelle donne, au détriment des moins agiles et des plus petites qui, elles, durent soit changer de modèle économique, soit périr discrètement dans l’indifférence des médias. Parallèlement et là encore, en accord avec ce que les experts avaient clairement annoncé sans jamais avoir été entendus, différentes affaires s’accumulaient montrant les dérives rapides et inévitables que cette directive entraînait : mise en place de filtres massifs sur différents supports, montée en puissance d’une censure a priori – rebaptisée filtrage pour faire passer la pilule…
Bref, l’internet, par le truchement d’une nouvelle bordée de lois mal boutiquées et contre-productives, poussées par les intérêts bien compris d’un ancien monde arc-bouté sur ses privilèges poussiéreux, prenait encore une fois un tournant détestable vers davantage de concentration, de connivence et moins de liberté.
C’est dans ce contexte déjà relativement agité qu’on apprend récemment que Google vient de changer la façon dont seront indexés et représentés les articles de presse dans son portail thématique.
Dès janvier, en réponse à la mise en place de cette nouvelle directive, Google avait clairement annoncé réfléchir à la possibilité de mettre fin, purement et simplement, à l’indexation des sites de presse pour éviter de tomber sous le coup de la loi qui lui imposait notamment une rémunération de ces sites en fonction du trafic ainsi généré.
Depuis, la transposition de la directive a progressé puisque son application dans le droit français pointe le bout de son nez : fin octobre, la France sera l’un des premiers pays à avoir transposé cette directive dans son droit et aura donc le plaisir de goûter, enfin, à la rémunération des sites de presse par Google à chaque fois que ce dernier en fait des citations.
Sauf qu’évidemment, Google n’entend certainement pas larguer des millions d’euros pour un service qu’il offrait gratuitement jusqu’à présent et permettait à cette presse de faire connaître sa production qui, bien qu’indigente, bourrée de fautes d’orthographes et de nouvelles pour la plupart lourdement biaisées, disposait ainsi d’une large publicité et d’une audience qu’elle ne méritait clairement pas, le tout, gratuitement jusqu’à présent.
Dès lors, pour éviter toute rémunération des éditeurs de presse, Google cessera d’afficher les extraits d’articles et les photos dans ses résultats concernant l’actualité. L’affaire, expliquée dans un billet de blog du vice-président de Google News, ne laisse aucun doute :
Lorsque la loi française entrera en vigueur, nous n’afficherons plus d’aperçu du contenu en France pour les éditeurs de presse européens, sauf si l’éditeur a fait les démarches pour nous indiquer que c’est son souhait.
Sapristi, voilà qui va quelque peu modifier la donne : par défaut, si l’éditeur souhaite avoir ses articles, ses vignettes et ses extraits référencés, il faudra qu’il le fasse savoir auprès de Google, ce qui veut dire par la suite que toute idée de rémunération supplémentaire de la part de Google sera à abandonner pour cet éditeur (ou parions que, même forcé, Google facturera alors, pour ce service de présentation, le montant exact de la rémunération qu’aurait souhaité l’éditeur de presse, annulant l’effort législatif entrepris).
Autrement dit, si aucun éditeur ne souhaite apparaître dans les nouvelles présentées par Google, la page Google News promet d’être un peu terne, seulement remplie de liens sans résumés. Heureusement, tous les éditeurs qui ne vivent que par le trafic et les gains publicitaires générés par celui-ci auront tout intérêt à accepter la nouvelle donne. Les autres éditeurs, minoritaires, verront plus probablement leur audience s’étioler. Quelques semaines après l’entrée en force de cette nouvelle loi, on peut donc parier à un retour (peu ou prou) à l’état actuel.
En attendant et devant la nouvelle stratégie de Google, à la fois légale et terriblement illustrative de l’imbécillité des législateurs incapables de comprendre les enjeux économiques réels, la réaction des politicards ne s’est pas faite attendre : Frank Riester, actuelle excuse placée à la tête du Ministère de la Culture, a ainsi expliqué sur Twitter que, je cite, « la définition unilatérale des règles du jeu est contraire à la fois à l’esprit de la directive et à son texte. »
Très très chiffonné, le pauvre petit Frank a donc courageusement décidé de s’entretenir prochainement avec ses homologues européens, parce que, scrogneugneu, cette situation ne peut pas durer. Il faut faire quelque chose, voyons, c’est obligé, n’est-ce pas, non mais des fois et puis bon, hein, mffppfmmf.
On se demande bien comment notre ministre va, concrètement, obliger une société privée à faire de gros cadeaux publicitaires à des sites de presse et les rémunérer de surcroît. Le spectacle de sa déconfiture promet d’être amusant.
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