Remise du prix Etienne Dolet de traduction à Marc de Launay
Bernard Banoun a présenté l’œuvre de Marc de Launay en la plaçant sous le double signe de la traduction et de la recherche. Le traducteur a traduit relativement peu de littérature (mais il faut citer néanmoins quelques traductions de Rilke, Handke, Kafka ou encore Schönberg pour un livret d’opéra). Car c’est surtout dans le domaine de la philosophie et de l’histoire des idées qu’il a travaillé, inlassablement, à faire connaître nombre de philosophes allemands : Adorno, Arendt, le « trio » Rosenzweig/Scholem/Buber, Habermas, Husserl, Nietzsche, Hermann Cohen, Léo Strauss, Cassirer, Rickert, Popper. Il a ainsi contribué à faire connaître en France tout un pan de la pensée allemande très occultée du fait des deux guerres mondiales.
Marc de Launay a ensuite présenté lui-même son travail et son expérience de traducteur, en montrant dans un premier temps comment sa génération (il est né en 1949) a vu naître la traductologie et aussi les grandes associations qui ont promu le travail de traducteurs comme l’ATLF (puis Atlas, Les Assises d’Arles, etc.). Il a parlé de ses maîtres, depuis son professeur d’allemand au lycée qui l’a confronté au Faust de Goethe et à la scène où Faust s’interroge sur le Prologue de Jean. Mais aussi de Paul Ricoeur, dont il évoque le travail de traduction, en cachette, de Ideen I d’Husserl à l’Oflag, en Poméranie, pour en déduire que l’on peut traduire en plein désespoir. Il reviendra d’ailleurs à plusieurs reprises sur la disposition psychique particulière engendrée par le travail de traduction. Il évoque aussi l’importance fondamentale pour lui de la Grammaire comparée de l’allemand et du français de Jean-Marie Zemb ou de l’école de Lille, Jean Bollack, Heinz Wissmann et Pierre Judet de La Combe. Il sera question aussi plusieurs fois d’Henri Meschonnic, de Jean-René Ladmiral et d’Antoine Berman dont il finira par s’éloigner en raison de divergences sur la traduction de Freud. Il rend compte par ailleurs de la situation misérable des bibliothèques et des librairies (très peu de livres de poche encore) à l’époque de ses études, le fait qu’on ne trouvait pas les livres sur lesquels on avait cours et que pour lire, il fallait traduire.
On l’a dit, plusieurs fois Marc de Launay a parlé de la disposition psychique très particulière propre à la traduction, qui pour lui stérilise toute tentative d’écriture, dans le même temps. Il l’a comparée à un acte calligraphique : elle s’écrit d’emblée comme un coup de pinceau. Avec une forte insistance sur la matérialité du texte, la traduction devenant alors une sorte d’interprétation réalisée. Il a défendu l'idée que la traduction philosophique est aussi fondamentalement une traduction littéraire (pour ne pas dire poétique), attentive au rythme, au souffle, à l'univers d'images du texte.
On rappellera pour conclure le compte rendu de cette très belle soirée que Marc de Launay a publié un livre intitulé Qu’est-ce que traduire ?
Florence Trocmé
*Placé sous l’invocation d’Étienne Dolet, grand humaniste du XVIe siècle, traducteur et auteur du premier traité de traduction en français, ce prix vise à attirer l’attention du public sur l’apport essentiel de la traduction à la culture et aux savoirs.
Le jury est composé d’universitaires et de journalistes spécialistes des échanges entre les langues et des questions de traduction.
Composition du jury : Bernard Banoun (président), Guillaume Métayer (secrétaire), Yann Migoubert (Service culturel de Paris-Sorbonne), Pascal Aquien, Laurence Breysse-Chanet, Élisabeth Brunier, Luba Jurgenson, Isabelle Lavergne, Claire Stolz, Florence Trocmé, Daniel Baric, Virginie Bloch-Lainé, Marie-Céline Daniel.
Photo ©Florence Trocmé, à gauche Marc de Launay, à droite Bernard Banoun