Et voici l’épisode 3 de la série consacrée aux femmes dans l’Ancien Testament et leurs représentations dans l’art ! Pour mieux comprendre ce qui suit, l’épisode 1 est : ici
La quête de la jeune fille vierge
La femme d’Abraham (premier des patriarches), Sara, vient de mourir. Abraham commence alors à s’inquiéter pour sa descendance ; il faut trouver une épouse à leur fils Isaac ! Il envoie donc son serviteur (Éliézer) pour trouver une belle et jeune vierge. Ce dernier suggère au patriarche qu’Isaac – le principal concerné – pourrait l’accompagner. Mais Abraham lui dit : « Tnut tnut, pas question, un ange t’accompagnera ». Arrivé aux portes de la ville d’Haran, traînant derrière lui un cortège de 10 chameaux chargés de présents, le serviteur décide de se reposer près d’un puits. Ne sachant pas trop comment trouver cette épouse idéale et craignant un coup de pied aux fesses par Abraham, il s’adresse à Dieu pour qu’il lui donne un signe. Dieu branche la fibre optique et lui annonce que cette jeune femme devra lui donner à boire à sa demande et lui proposer d’abreuver ses chameaux. À peine le divin a-t-il raccroché, que POUF une très belle jeune fille nommé Rébecca, une cruche d’eau à la main, s’approche d’Éliézer pour lui proposer de se désaltérer et d’abreuver ses chameaux.
L’homme lui fait part de sa quête « Kikoo j’ai le fils de mon maître qui cherche une meuf bonne, vierge et serviable. T’es ok ? » La voyant hésiter (ah bon ?) il lui offre deux bracelets ainsi qu’un anneau d’or.
Même si Rébecca est issue d’une famille plutôt modeste, nombre de peintres la représentèrent richement vêtue, telle une courtisane. C’est le cas dans ce tableau de Giambattista Tiepolo (1696-1770), peintre de l’opulence et du raffinement vénitien :
Oui car n’oublions pas que Rébecca est très belle. Ce fût (comme souvent) un prétexte pour les peintres de représenter une belle jeune femme entourée… d’autres belles jeunes femmes. C’est le cas avec le peintre français Nicolas Poussin (1594-1665). Son commanditaire – Jean Pointel – lui demanda une peinture représentant « plusieurs filles, dans lesquelles on peut remarquer différentes beautés ». Hop, Poussin pensa à la scène du puits de Rebecca, entourée d’autres jeunes filles venues puiser de l’eau, et le tour était joué.
Du côté de la sculpture, Giovanni Maria Benzoni (1809-1873) a créé une représentation de Rébecca voilée. L’oeuvre, sculptée dans le marbre et à taille humaine, est une véritable prouesse technique, ne serait-ce qu’au niveau du travail effectué sur le voile. Mais ce dernier – censé cacher le corps de la jeune femme – érotise hautement cette dernière. Vierge ok, mais sexy quand même, c’est une belle femme (c’est la Bible qui le dit et on ne le répètera jamais assez !!).
D’autres peintres s’attardèrent sur le moment où elle accepte les bijoux que lui offre le serviteur Éliézer. C’est le cas de Nicolas Grassi qui représente Rebecca telle une jeune fille coquette (remarquez le décolleté plongeant), présentant sans rechigner son bras pour recevoir le bracelet qu’elle fixe avec intensité. Là encore, on ne se douterait pas que c’est une scène sainte, tant l’accent est mis sur l’interaction avec le bijou. Rébecca paraît accepter le marché, seulement motivée par l’appât du gain (car les femmes sont vénales, ne l’oublions pas).
Au contraire, Giambattista Pittoni (1687-1767) nous montre (ci-dessous) une Rébecca plus hésitante. Penchée vers l’arrière, fermement appuyée sur sa cruche (qui au passage, symbolise sa virginité intacte), elle paraît timidement accepter le bracelet. En effet, la demande est assez précipitée et lourde de conséquences : elle va devoir quitter sa famille, sa ville, pour assurer une vie de famille auprès d’un homme qu’elle ne connaît absolument pas.
Rébecca est finalement OK et invite le serviteur à loger chez ses parents. Arrivés chez elle, la petite famille est au max en apprenant la nouvelle et répondent à Élézier : « Voici Rébecca à ta disposition, prends-la, pars et qu’elle soit l’épouse de ton maître, comme l’a décidé l’éternel. » (Gen. 24 : 51). Et, fait notable, en ce qui concerne le choix du jour du départ de la jeune fille, après avoir parlementé entre coucougnettes sans trouver d’accord, ces messieurs finissent par demander à Rébecca son avis. Très déterminée, elle répond : » Je pars. » Allez zou, on empaquette ses effets personnels et la jeune femme quitte le domicile familial, accompagnée de ses servantes et de sa nourrice. Et au passage, le serviteur couvre de présents Rébecca et sa famille.
Arrivés à la ville de la famille d’Abraham, à l’extérieur, le serviteur demande à la jeune fille d’attendre. Dans la pénombre de la nuit qui tombe, elle distingue un mec un peu creepy qui avance dans l’ombre. Le serviteur l’informe que c’est Isaac et immédiatement Rébecca se couvre d’un voile. À peine ont-ils eu fait connaissance qu’Isaac propose à la jeune fille d’aller dans la tente de sa mère (décédée, je vous le rappelle) pour se marier. Le temps passe, les figures d’acrogym se multiplient dans la tente mais toujours pas de bambin en vue… Le couple a manifestement un problème de fertilité. Les Écritures ne sont pas assez claires au sujet de qui ça vient : Isaac ? Rébecca ? Les deux ? Pourtant, l’interprétation qui revient le plus souvent est celle où (je vous le donne en mille)… c’est Rébecca qui est stérile ! Isaac va alors prier très fort Dieu pour qu’ils aient des enfants.
Rebecca, entre clichés et rôle singulier
Le divin, dans sa grande bonté (et surtout parce qu’Isaac est le fils d’Abraham, son premier prophète) exauce le couple et Rébecca tombe enceinte, et pas qu’un peu : de jumeaux. Après avoir émis son avis au sujet de la date de son départ, elle prend à nouveau les rênes, chose peu fréquente pour les personnages féminins dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Alors qu’elle est enceinte, inquiète, elle demande à Dieu de la rassurer. La connexion s’établit et le divin lui dit qu’elle enfantera de deux nations et que l’aîné obéira au cadet. Ainsi, il est intéressant de relever que Rébecca a réussi à « dialoguer » avec Dieu, interaction privilégiée, majoritairement réservée aux personnages masculins. Esaü et Jacob naissent et leurs parents ont chacun leur chouchou… Isaac préfère l’aîné (Esaü) car « il lui mettait du gibier dans sa bouche » (Gen. 25 : 28). Oui. En d’autres termes, car il ramène à la maison de quoi bien bouffer (il n’est pas précisé pourquoi Rébecca préfère Jacob).
Alors que la famine fait rage, la petite famille décide de se réfugier dans la ville de Ghurar. Et nous assistons à un remake d’Abraham et de sa femme Sara (le récit : ici). Rébecca étant, je le rappelle, TRÈS BELLE, les hommes de Ghurar ont le slip qui chauffe. Isaac a peur de se faire zigouiller et fait donc passer sa femme pour sa soeur pour éviter qu’un homme en rut le tue pour récupérer Rébecca et la faire sienne. Alors qu’ils s’isolent pour se cajoler en douce, le roi de Ghurar, Abimelech, les surprend. Furieux d’apprendre qu’ils ont menti sur leur relation (de quoi il se mêle..?) il leur passe un savon. Isaac lui faisant part de ses inquiétudes, le roi ordonne à ses sujets de laisser le couple tranquille (« oui oui je comprends, les belles femelles c’est toujours compliqué à gérer »).
La femme éternellement fourbe et manipulatrice
Les années ont passé, Isaac est tout vieux et il se meurt. Il émet alors le souhait de bénir son fils favori (Esaü) afin qu’il prenne sa suite et gère le foyer familial. Mais avant cela, il lui demande d’aller chasser le gibier « afin que mon coeur te bénisse avant ma mort » (Gen. 27 : 7) (la bonne bouffe avant tout). Rébecca, entendant cela, échafaude alors un plan. Elle va chercher son fils préféré, Jacob, et lui demande d’aller cuisiner deux chevreaux. Elle récupère la peau de ces derniers et enveloppe le cou et les mains de son fils chouchou. En effet, son époux Isaac est myope comme une taupe et elle compte faire passer Jacob pour Esaü pour qu’il se fasse bénir à sa place… Esaü étant très poilu, la peau des chevreaux pourra faire illusion (oui c’est à ce point). Alors qu’elle avait eu un rapport privilégié avec le divin, Rébecca endosse ici l’éternel rôle féminin de l’instigatrice et de la manipulatrice, renforcé par le côté un peu « sorcière » du subterfuge, du tour de passe-passe. On peut observer cette attitude dans le tableau de Gioacchino Assereto (1600-1649) où Rébecca, d’un geste, intime à son fils indigné de se taire, le poussant de l’autre main vers son père. Ce doigt du silence, est au coeur du tableau, mettant l’accent sur le subterfuge dont elle est l’auteure.
On retrouve ce même geste dans ce tableau ci-dessous d’Abraham van Dijck (1635-1680). L’échange de regards entre Rébecca et son fils Jacob, tourné vers elle, est bien visible et prouve la complicité dans le subterfuge. De même, les yeux écarquillés de la vieille taupe Isaac, rappellent son infirmité et le fait qu’il est dupé.
Jacob, bien poilu et présentant ses chevreaux cuisinés, s’approche de son père. Et ce dernier s’exclame « C’est quoi ce souk ? C’est la voix de Jacob avec le corps d’Esaü ! Me prendrait-on pour un jambon ? » Mais comme il y voit que dalle, il bénit quand même le jeune homme. Ce qui laisse l’autoroute pour les artistes pour représenter cette scène de façon cocasse. C’est le cas ci-dessous, dans ce tableau de Joachim Beuckelaer (1533-1574) :
Il me semble que le toutou à droite a plus de dignité que Jacob. Ce dernier est à genoux, à moitié avachi sur le plat qu’il présente à son père, la main de sa mère appuyant sur son épaule. Il paraît lancer un appel à l’aide au spectateur en regardant vers nous, le visage malgré tout impassible. Et on peut remarquer dans l’encadrement de la porte de droite, son frère Esaü rentrant de la chasse.
Bon alors là… Ci-dessus nous avons la déglingue : Isaac paraît dégouliner depuis son lit, saisissant son fils comme s’il se demandait s’il est un bon p’tit steak ou bien sa progéniture. Rébecca en a plus rien à faire de la vie, complètement avachie sur son fauteuil, ses seins pointant à travers son corsage transparent. Que s’est-il passé dans la tête de Frans Floris ? Je ne sais pas.
Et là, Esaü revient de la chasse et voit la scène (la bénédiction, pas la déglingue ci-dessus). C’est le drame. Il veut exterminer son jeune frère tellement il a la rage. Rébecca prend peur et conseille Jacob de quitter le foyer familial. Une fois le jeune homme hors de danger, Rébecca disparaît alors du récit biblique. Elle a existé seulement à travers sa mission, donner une descendance à la famille du premier prophète. Ainsi, elle n’a pas existé en tant qu’elle-même, comme la grande majorité des personnages féminins de l’Ancien et du Nouveau Testament, qui agissent toujours pour les personnages masculins qui occupent le devant de la scène divine. Elle fit quand même preuve de davantage de clairvoyance que son mari Isaac qui préférait Esaü, alors que Jacob sera le prochain prophète de Dieu…
Le premier épisode de cette série consacrée aux représentations dans l’art des femmes dans l’Ancien Testament, est à retrouver ici : Sara
Le deuxième : Les filles de Loth
À bientôt pour un prochain épisode !
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Sources :
- Baladier Charles (dir), Lapierre Jean-Pie (dir), La petite Encyclopédie des Religions, éditions du Regard, Paris, 2000
- Bebe Pauline, Isha, Dictionnaire des femmes et du judaïsme, Calmann-Lévy, 2001
- Debray Régis, L’Ancien Testament à travers 100 chefs-d’oeuvres de la peinture, Presses de la Renaissance, Paris, 2003
- Maës Gaëtane, cours sur : L’introduction à la peinture et aux arts graphiques en Hollande et en Flandres au siècle d’or, Université de Lille 3, 2015