Hôtel Belvédère, de Jacques Pilet

Publié le 01 octobre 2019 par Francisrichard @francisrichard
Cette nuit, c'était début août, le temps paraissait avoir viré à l'automne alors qu'il faisait si beau la veille. L'hôtel Belvédère qui, des hauteurs de Montreux, domine le lac Léman et s'ouvre sur les montagnes suisses et françaises, était enveloppé de brouillard, plongé dans le nuage.

Ainsi commence le roman de Jacques Pilet. Ainsi commence un voyage dans le temps puisque le mois d'août dont il s'agit est celui de 1914 et des déclarations de guerre européennes. Et un voyage personnel pour l'auteur puisque certains des personnages lui ont été inspirés par des membres de sa famille.

La Suisse est neutre, mais la guerre gronde autour d'elle et cela ne peut avoir que des conséquences pour ceux qui s'y trouvent au moment où éclate le conflit. En tout cas l'Hôtel Belvédère est inévitablement dans la tourmente: Si le personnel était international depuis plus de trente ans, la clientèle l'était aussi.

On pense que la guerre ne durera pas. Le directeur du palace de Glion, Gian Caviezel, un Grison romanche, n'est pas de cet avis. Il est lucide et il écrit dans une lettre à Louise, sa maîtresse française, qui se trouve à Nice: La Suisse échappera peut-être aux combats, elle risque cependant de partir en morceaux:

Notre économie s'effondre. Je ne sais si je pourrai garder l'hôtel ouvert. Plusieurs employés s'en vont. Il n'arrive plus de nouveaux clients. [...] Ici, les gens se font du souci pour leurs affaires et leurs emplois, ils ne mesurent pas l'ampleur du drame. Ils se croient protégés, par les montagnes, par l'armée, par le gouvernement, par leur bonne conscience...

Petit à petit un autre personnage émerge de l'histoire: Jules Monod, 18 ans, futur protégé de Gian. Son père est paysan, mais lui ne veut pas l'être. Lui aussi doute que la Suisse soit préservée. Il aimerait échapper à la conscription, quitter cette Suisse paisible seulement en apparence, aller loin, très loin, outre-mer.

Cet amoureux des livres, dont la sœur, Esther, vend des fruits à l'hôtel Belvédère, rencontre à la Librairie internationale, tenue par un Ukrainien, Tatiana, une étudiante russe qui fréquente les révolutionnaires, mais qui surtout va lui faire découvrir la vie . Elle aimerait agir mais elle est au fond comme lui, spectatrice.

Avant d'émigrer, son rêve depuis longtemps, tandis que les horreurs de la guerre continuent tout autour, lui, Jules, ne [s'engage] pas, il [erre) entre des aspirations diverses. Il se [voit] en voyeur. Voyeur de la tragédie européenne. Voyeur du combat social. Et il en [éprouve] un vertige. "Je ne suis même plus un paysan.".

Comme bien des Suisses, il tournera le dos à l'Europe ensanglantée (ou à son milieu ressenti comme étouffant). Se sera-t-il agi d'une ou d'une quête de richesses? Il lui aura suffi pour se décider d'une question de son ami français Emile qui, au front, très tôt, a perdu une jambe: Et maintenant que vas-tu faire?

Il écrira, au soir de sa vie, dont il fait le récit sans démêler le pourquoi de son départ: Je ne crois pas que l'on décide tout seul de son destin. Il y faut de la volonté mais aussi, en écho, les mots des autres. Le regard qui encourage ou désapprouve, ce qui peut d'ailleurs pousser à faire le contraire de ce qui est suggéré.

Francis Richard

Hôtel Belvédère, Jacques Pilet, 188 pages, Editions de l'Aire

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