Eau de Paris, la régie municipale publique de gestion de l’eau, a célébré le 7 mars 2019 avec la ville de Paris les dix ans de la municipalisation de l’eau à Paris. Une célébration en forme de bilan mais qui vise aussi à afficher de nouveaux enjeux comme la transition écologique.Il faut reconnaitre que le choix fait en 2009 par le maire de Paris Bertrand Delanoë, était audacieux car la distribution de l’eau était depuis longtemps déléguée à des opérateurs privés. Ce pari contesté à l’époque affiche dix ans après de belles performances et illustre la réussite de la gestion publique de l’eau à Paris. L’exemple de Paris n’est pas isolé, car en France, la régie de Strasbourg existe depuis cinquante ans et celle de Nice depuis deux ans au-delà des clivages politiques.
Les batailles pour une gestion publique de l’eau
En France, la distribution de l’eau potable est un service public confié aux collectivités territoriales qui décident librement de son mode de gestion soit elles en assurent directement le service sous la forme d’une régie, soit elles le délèguent à une entreprise privée. La politique de l’eau en France est fondée sur quatre grandes lois et encadrée par la directive-cadre européenne sur l’eau publiée en 2000. Ce texte définit la notion de « bon état des eaux », vers lequel doivent tendre tous les États membres, dont la France. Le territoire français est découpé en 12 bassins. A Paris pendant plus de vingt-cinq ans, les multinationales Véolia Environnement et Suez Environnement ont pris en charge toute la production et la distribution de l’eau.
Leur gestion est marquée par des scandales et des abus à répétition. Différents acteurs comme la Cour des Comptes et plusieurs associations dénoncent une opacité financière et une absence de contrôle des acteurs publics dans l’organisation de la gestion de l’eau. La guerre de l’eau est déclarée comme en témoigne plusieurs articles en 2008 qui visent à dénoncer les abus des opérateurs privés et aussi d’exposer les avantages d’un retour à une gestion publique. Dans son livre publié en 2015, « une victoire face aux multinationales, Ma bataille pour l’eau de Paris», Anne le Strat, présidente de la régie Eau de Paris jusqu’en juin 2014, explique les enjeux d’une bataille sous haute tension et présente les jeux d’influence des différents protagonistes que sont les entreprises, les élus, les syndicats, les médias et la technostructure. Les arguments avancés en faveur d’une gestion publique de l’eau visent d’abord à défendre des fondements – la gestion de l’eau est un bien commun, les actions mises en œuvre s’inscrivent sur le long terme et l’objectif est de garantir aux usagers une eau de qualité à un juste coût.
De plus, elle permet de défendre des valeurs : la qualité du service, la proximité des approvisionnement et l’engagement d’une responsabilité environnementale et sociale. Elle défend aussi des missions comme le transport, le traitement et la distribution d’eau potable grâce à des installations performantes et modernes. C’est ainsi que le conseil de Paris décide le 24 novembre 2008, de reprendre la gestion de l’eau et de créer un établissement public industriel et commercial (EPIC).
Cette régie municipale – Eau de Paris – reprend les activités de production et de distribution de l’eau ainsi que l’ensemble des personnels (environ 900 personnes issues des opérateurs privés). En chiffres – Prix de l’eau potable en 2017 : 3,4164 €/m3 TTC pour 3 millions d’usagers, 2,2 millions de Parisiens et 93 000 abonnés. Eau non potable : 2 000 km de canalisation, 7 réservoirs d’eau non-potable et 3 usines d’eau non-potable (Auteuil, Austerlitz et la Villette). Par ce choix politique la Ville de Paris entend stabiliser le prix de l’eau et de garantir un accès facilité à l’eau.
Mais en Ile-de-France, plusieurs collectivités sont adhérentes au Syndicat des eaux d’Ile de France (Sedif). Créé en 1923, l’établissement public de coopération intercommunale gère le service public de l’eau potable pour le compte de 151 communes de la région parisienne réparties sur sept départements. Il est présidé depuis 1983 par Monsieur André Santini. En chiffres : au 31 décembre 2018, 151 communes desservies soit 4,6 millions d’usagers ; 597 574 abonnées er 247,3 millions de m3 consommés. Distribution : 78 réservoirs, 45 stations de pompage, 8 705 Km de canalisations et 779 000 m3 distribués par jour en moyenne en 2018. Production : 3 usines traitant l’eau de la Seine, la Marne et l’Oise, et 4 usines traitant des eaux souterraines soit 286.50 millions de m3 d’eau produite (ressources superficielles et souterraines). Le Sedif défend aussi ses missions, actions et métiers.
La mort annoncée de la gestion communale de l’eau
Comme indiqué dans le rapport du CIRIEC (Ciriec international Commission scientifique services publics) publié en 2014, la gestion publique de l’eau conduit un changement sensible par rapport à la situation antérieure mais ni la qualité, ni les prix n’ont enregistré de réels changements. Pour exemple le prix du m3 de la facture d’eau et assainissement était en 2010 de 2,93€ contre 3,43€ en 2019 (Régie Eau de Paris). Mais l’argument du prix n’est pas pertinent car dans une régie on n’a pas à rémunérer les actionnaires. De plus il faut financer la bonne qualité des installations et préserver l’eau pour l’avenir.
Les enjeux sont ailleurs. La simplification engagée par les lois de décentralisation à partir de 2012, va mettre un terme aux compétences communales avec pour objectif de rationnaliser la gestion de l’eau. La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPAM » vise à clarifier les compétences des collectivités territoriales en créant des organes de concertation entre les collectivités, et en réorganisant le régime juridique des intercommunalités françaises les plus intégrées, les métropoles (12 comptant au moins 300 000 habitants et 4 à statut particulier – Lyon, Marseille, Grand Paris et Lille).
La loi NOTRe du 7 août 2015 prévoit quant à elle, sur tout le territoire français hormis celui des nouvelles métropoles, le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement exercées par les communes, leurs groupements ou syndicats, à l’ensemble des EPCI à fiscalité propre d’au moins 15 000 habitants (seuil adapté en fonction de la densité démographique du département), qui vont être créés avant le 1er janvier 2017. Et avec la loi NOTRe, nous allons selon l’Association des communautés de France (ADCF), passer de 2 062 intercommunalités à fiscalité propre au 1er janvier 2016 à 1 245 (chiffre officiel au 31 mars), au 1er janvier 2017… Soit une réduction de 40 % qui donnera en moyenne des départements composés de 7 à 8 EPCI.
En 2020 le nombre de services ou syndicats d’eau va passer d’environ 34 000 (en 2016) à un peu plus de 3 000. Comme le souligne le rapport de la Cour des comptes dans son rapport publié en 2018 : « La métropole ne pouvant exercer que des compétences qui lui ont été transférées par la loi, un changement d’organisation confiant la compétence « eau » à l’échelon métropolitain nécessiterait une adaptation législative ».
En définitive, dans un contexte de changement climatique, de recomposition territoriale et d’organisation entre petit et grand cycle de l’eau, une nouvelle gouvernance s’impose pour combiner économies d’échelle et solidarité entre urbains et ruraux. Les enjeux concernent le contrôle et la protection des droits des usagers, l’efficacité, la programmation et le financement des investissements organisés dans une stratégie d’anticipation.
Christophe Mazars
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