Lorsque l'on vit en Europe depuis belle lurette, on peut se mettre à penser que l'on y fera ses vieux os, on accepte de se liquéfier dans la terre blanche, de se mouvoir en terre étrangère. Étrangère? Mais est-ce encore vraiment une terre étrangère? Ne sommes-nous pas au final, nous qui vivons ici depuis un moment, devenus des hybrides, qui ne dissocions plus l'origine de la greffe?
J'ai l'occasion de me dire :”je rentre!”, mais je m'entête à rester. Je fuis devant la perspective de retourner dans mon pays d'origine. La faute à Amazon et à La Redoute. Qui peut encore subsister dans un environnement sans livraison à domicile? Sans Zara et H&M à chaque artère.
La faute aussi aux services qui, je le sais, mettront des lustres avant de pénétrer mon pays. Et je le dis le plus sérieusement du monde. C'est fou le nombre de choses ridicules auxquelles on s'accroche lorsqu'il nous faut envisager de quitter un territoire. On détestait le rer A aux heures de pointe, et on se met à le trouver bien, pratique, propre et ponctuel. On s'attarde sur ces lieux et activités fugaces qui n'avaient récoltés que des haussements d'épaules contrariés: un cygne à qui des vieillards donnent du pain; une sortie d'école dans le quartier; une patinoire sur l'entrée de la mairie; une Tour Eiffel éclairée; un groupe proposant que l'on offre un bien non périssable afin d'aider des personnes isolées. Toutes ces choses font clic et prennent le sens des activités privilégiées d'une vie en Europe. Aussi ridicule que cela paraisse, c'est l'apparence qui nous retient vraiment ici. C'est lâchement les consommations et les services abondants, proposés par un territoire ultra compétitif et consumériste, qui nous empêchent de rentrer. La facilité à avoir accès à ces services, voilà quel est le problème. Apparemment, l'Afrique ne vaut pas Zalando.
Je le sais, dans mon pays d'origine il n'y aura plus de fête des voisins, plus d'étudiants qui m’accosteront pour me donner des préservatifs gratuits, plus de silence dans le hall de l'immeuble. Je vais me retrouver dans un monde plein, aussi bien dehors que dedans; dans la maison de mon père, dans le taxi. Un environnement plein, ou la promiscuité débordera jusqu'à mon monde, mon intimité. Un environnement où l'on réfléchit en groupe, en caste, en tradition.
Ce n'est pas que je n'aime pas l'Afrique, mais j'ai changé. J'ai vu qu'il y avait autre chose. J'aurais été au Sénégal, j'aurais encore tergiversé. Il s'agit de se dire que l'on doit “nécessairement” repartir au point de départ. Mais qu'est-ce que le départ? Qu'est-ce que ce lieu d'où l'on veut forcément nous voir être enterré? Corneille, le chanteur, a dit :”Un bout de terre n'a jamais fait chez soi”, puis “je suis un nomade, je suis chez moi là où on m'a accueilli” (chant “Terre”). Comme si on avait le droit de dire cela uniquement lorsque l'on avait réchappé à un génocide. Je ressens le besoin de faire ces déclarations à mon tour.
La force de l’arrachement, du déracinement, ce sentiment vient à chaque fois que quelque chose nous empêche de nous retrouver vers la première terre. Cette terre qui, à bien des égards, ne nous a pas mieux traités que les autres. Une fois assumées et vécues ses caprices, tout nous semble supportable dans le pays de la greffe. Repartir où? Qui m'y attend? Qu’y ferai-je ?
Ils disent que le continent se développe, qu'il y a plus de milliardaires, qu'il y a une génération montante qui fait bouger les choses. Mais à Libreville, il y a des foyers pratiquement sans eau, qui doivent (au 21 ème siècle), aller puiser de l'eau à la pompe publique ou extraire celle-ci via des pratiques moyenâgeuses. Diantre! Pourquoi y irai-je?
À l'heure où des familles se délitent et éclatent, avec la fuite des Africains et des Sud-Américains vers l'Europe et l'Amérique, pourquoi je devrais m'en soucier plus qu'un autre? Tout le monde attend un libérateur, un autre Madiba. Ce n'est pas moi. Démerdez -vous, j'aurais tendance à dire.
La génération précédente, et celle qui précède celle qui nous précède, a préféré danser et s'habiller en abacost, en nous passant le témoin de la pauvreté. Quelle sollicitude! Sauf que voilà, apparemment nous aussi on a fait les comptes, et on n'a pas trop envie non plus de nous y coller. On verra ce que fera la suivante. Aux dernières nouvelles, elle fait l'escalade d'immeubles à la Spider Man, et nage en Méditerranée.
Un article de Pénélope Zang Mba pour le blog Chez Gangoueus
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