Lire c'est un peu beaucoup mon métier (de traducteur) je considère à peine que c'est travailler. Je le fais constamment comme une seconde nature. Lire c'est plonger dans la tête de quelqu'un tout en s'ouvrant les sens.
Lire c'est respirer autrement et respirer, c'est vivre.
NINE STORIES de J.D. SALINGER
J'ai longtemps pensé que J.D. n'avait écrit qu'un livre. L'impact sur ma personne du Catcher in the Rye et la réclusion de l'auteur ont aidé à me faire croire qu'il en avait eu assez de cet immense succès.
C'était en partie vraie. Il visait LE gros livre sur lequel il pourrait vivre une bonne partie de sa vie, et il l'a réussi avec brio.
Deux ans après la publication de The Catcher in The Rye, plusieurs des nouvelles qu'on avait publiées principalement dans le New Yorker ou le Harper's entre 1948 et 1952, sont retravaillées, et sont condensées dans ce recueil en comprenant 9.
La première s'appelait d'abord The Bananafish. Et en janvier 1947, le New Yorker l'avait tant adorée qu'on avait mis Salinger sous contrat. Quand un an plus, tard, la nouvelle est publiée dans le New Yorker, elle s'appelle maintenant A Perfect Day For Bananafish for Fish Soup, après avoir un temps, été appelée A Fine Day for Bananafish. On y introduit le mariage de Seymour Glass et une errance sur une plage de la Floride, où il jase avec une jeune fille, un peu jalouse.
Cette nouvelle à elle seule change le statut littéraire de J.D. dans la communauté littéraire. La justesse du ton des dialogues, la psychologie fragilisée du jeune vétéran de la Guerre, l'inquiétude naturelle de l'épouse parlant avec sa mère au téléphone, en ouverture, la conclusion.
Dans Nine Stories, on ouvre avec cette parfaite nouvelle, et on fait tomber le for Fish Soup dans le titre.
La famille Glass sera des oeuvres futures de l'auteur. Multiples fragments d'un même cerveau fragilisé. (Glass=miroir).
Eloise est mariée à Lew mais amoureuse de Walt Glass, ce dernier, issu de la même famille que Seymour, de la première nouvelle. Uncle Wigglily In Connecticut met en scène exclusivement des Femmes. Eloise vire une brosse avec son amie divorcée, Mary Jane. Elle confesse son malheureux mariage et raconte sa relation passée avec Walt, parti à la guerre. Ramona, la fille d'Eloise, a un ami imaginaire, Jimmy. Ivres, les deux femmes lui disent que son ami Jimmy a été tué, écrasé par un autobus. Ramona se couche dans son lit, laissant encore un espace pour son ami imaginaire. On lui réexplique qu'il n'existe plus. Elle leur dit qu'elle l'a remplacé par un autre: Mickey. Eloise dérape. S'ennuie de celle qu'elle a déjà été.
On a trouvé de la symbolique chrétienne dans la nouvelle suivante: Just Before The War With The Eskimos. Il s'agit d'une nouvelle mettant en scène trois adolescents, deux jeunes filles et un jeune homme. Ginnie et Selena se chicanent sur le fait que Ginnie paie toujours le taxi qui les mène à l'école. Elle exige d'être remboursée. Pendant que Selena va chercher l'argent, elle fait la rencontre de son frère Franklyn. La poète et éditrice du New Yorker, Dorothy Parker avait alors dit de la nouvelle qu'elle avait été écrite avec intelligence, qu'elle était urbaine et absolument bien écrite. Que la nouvelle confondait celui/celle qui la lisait, tout en le/la séduisant.
Dans The Laughing Man est une histoire dans une histoire inspirée de L'Homme Qui Rit de Victor Hugo. Un narrateur non nommé raconte l'histoire du "chef" du club des Comanches dans lequel il été membre quand il avait 9 ans. Le Chef racontait l'histoire de l'homme qui riait, qui dressait de nombreux parallèles avec la vie du Chef. Il était enlaidi lui aussi, mais fort athlétique et racontait merveilleusement.
La relation du Chef avec une jeune fille Mary, s'introduit dans l'histoire qu'il raconte aux enfants de 9 ans. Avec une conclusion encore surprenante.
Down at the Dinghy fait fi de la classique misanthropie de JD, et l'explique peut-être un peu alors qu'il témoigne de son passage à la Seconde Grande Guerre et du traumatisme horrible de l'expérience, mais surtout de l'interdépendance entre frères, dont Boo Boo Glass Tanenbaum, un des membres clés de la famille Glass, et des références à Seymour et à un autre frère Webb "Buddy" Glass. Cette nouvelle contient beaucoup d'autobiographie. Bouleversant.
Pretty Mouth & Green My Eyes est l'une de mes préférées car la nouvelle se moque de la réalité. On y trouve des aspects inexpliqués, absurdes, inexplicables, intéressants. De l'ordre de "Le dernier homme sur terre était dans la cuisine quand on cogna à la porte". Un homme reçoit l'appel d'un ami, troublé par la disparition de sa femme, et par la cause (il est avocat) qu'il vient de perdre. La suite est aussi surprenante qu'absurde. Déstablisant. J'aime beaucoup.
Teddy est une série de vignettes inspirée de l'évangile du Sri Ramakrishna. Teddy est un enfant attachant qui nous introduit sur les concepts de base du zen, de ses bienfaits, et du vendata, une philosophie indienne astika.
10 ans plus tard, dans Raise the Roof Beam High, Carpenters and Seymour: An Introduction, une méditation "écrite" par le personnage (fictif) de Buddy Glass, sur son propre frère Seymour, Buddy clame être l'auteur de la nouvelle Teddy.
Schizophrénant.
Mais très pénétrante écriture.
Axée sur un rythme de dialogue suivant le flux de pensées et la spontanéité des discours, secouant régulièrement les conventions faciles.
Je serai à jamais un fan de Salinger.
Qui me fait nager dans toutes les eaux.
Je ne pouvais pas vous parler de The Catcher in the Rye pour la millième fois...