(Note de lecture), Poèmes retrouvés, de George Oppen, par Auxeméry

Par Florence Trocmé

Viser, déclencher, passer à la chambre d’échos.
S’il me fallait définir… i.e. parvenir à déterminer ce qui constitue une sorte d’indiscutable, ce qu’on retient au bout du compte des mots, ce qu’il faut bien avoir vu pour savoir et se connaître ayant vu – mais je suis déjà en train de commenter la formule d’Oppen lui-même : voir ce qui nous entoure et ainsi nous pénétrer au cœur.
Reprenons. Il s’agit de poème, et donc de l’usage de la langue.
La langue d’Oppen résulte d’une opération de transformation de la lumière crue du monde en vérité ; cette langue est sous objectif photographique : je pense aux clichés de Walker Evans (datant des années 30, la période où sans doute le monde est en attente de la plus certaine des catastrophes – mais sous ce rapport, nous connaissons bien mieux encore !). Clichés noir et blanc, paysages traités en natures mortes (still life en anglais, plus intelligent que le français ici, « vie en état de repos », mais de fixation dense et concentrée) ; μηδὲν ἄγαν, « rien de trop », selon la maxime de la sagesse antique revisitée au plus strict, autrement dit, pas de bavardage indu, pas de bavures ; ajoutons une diction au cordeau sur des rythmes élémentaires (très subtils en leurs détours syntaxiques parfois), entendons calibrés par un instrument de mesure qui tient plus du compas (celui qu’on a dans l’œil) que du métronome (pensons aux Don’ts, au Retrospect de Pound : to compose in the sequence of the musical phrase, not in sequence of a metronome, ce qui implique de saisir la « chose » au plus près de ce qu’elle a à dire d’elle-même et de ne pas lui adjoindre d’élément artificiellement destiné à la valoriser ; pensons à Williams aussi : l’objet en soi, le chiffre 5, mais aussi la fleur de chicorée du prologue de Kore in Hell, Williams toutefois plus proche du peintre que du photographe).
Refus donc du tableau de genre – l’image, s’il y a image, et Oppen est à l’évidence immédiate très économe de métaphores, au service du sens et non de l’effet.

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George Oppen, Poèmes retrouvés, traduction d’Yves di Manno, 2019, 180 p., 19€. Livre en librairie le 17 octobre.