.Télérama Fabienne Pascaud
Avec son adaptation du livre de Svetlana Alexievitch, le metteur en scène Emmanuel Meirieu poursuit son cheminement.
Le metteur en scène Emmanuel Meirieu aime faire entendre les voix jaillies d’essais ou de romans qui l’ont bouleversé. Il transforme alors généreusement son théâtre en un espace d’aveux et de secrets où des hommes et des femmes écoutent d’autres hommes et d’autres femmes, vivent avec leur désarroi et leur détresse le temps de la représentation. Echan gent et partagent. Beau projet de théâtre humaniste et engagé, à résonance souvent politique. Son adaptation de La Fin de l’homme rouge (2013), de Svetlana Alexievitch, participe à merveille de ce cheminement.
Proche de Dostoïevski
L’écrivaine russe y interroge des jeunes, des vieux, des victimes, des bourreaux, sur les changements qu’a provoqués en 1989, dans leur existence quotidienne, la fin de l’URSS et du régime soviétique. Recueil de portraits à la forme neutre et clinique, le livre dresse pourtant le saisissant constat d’un peu ple à la dérive. Qui en vient parfois à regretter le communisme d’antan. Son utopie, son idéal face à un capitalisme où priment l’argent et une réussite matérielle sans âme ni culture. Comme à son habitude, Emmanuel Meirieu fait se succéder sur un plateau, où règnent ici le désordre et des détritus épars – une salle de classe abandonnée du côté de Tchernobyl ? –, les récits de vie d’individus paumés à qui l’on a retiré toute espérance. Sur un écran en fond de scène sont diffusées à petites touches des images d’archives. Parfois les comédiens s’expriment simplement debout derrière un micro, sans bouger, juste verticaux. Et l’économie de jeu, de moyens rend leurs histoires plus terribles encore.
Il y a la mère dont le fils s’est suicidé, le vieux militant com muniste qui ne parvient pas à renoncer à sa foi militante, le soldat rentré d’Afghanistan fracassé, l’amoureuse d’un soldat irradié à Tchernobyl… Ils sont sept – d’Anouk Grinberg à André Wilms, de Jérôme Kircher à Evelyne Didi – à rappeler l’enfer d’hier, au moins, riche d’illusions communes et d’espérances sublimes qui les transcendaient… Règne une incandescence proche de Dostoïevski chez ces fra cassés du communisme comme du capi talisme, qui brûlent toujours d’un désir d’absolu. Et si le dispositif d’Emmanuel Meirieu, sa grammaire théâtrale, change peu de spectacle en spectacle, on y vit toujours la même découverte de l’autre, rencontre avec l’autre. Qu’elle émerveille ou horrifie.