Jean Calvin, un précurseur des Talibans ?

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit
© Roger Garaudy A contre-nuit. Reproduction autorisée avec mention de l'auteur et lien

https://www.museeprotestant.org/notice/loeuvre-de-jean-calvin/

Jean Calvin(1509-1564) est connu  comme théologien auteur d'innombrables commentaires des textes bibliques(1) mais surtout par son œuvre maîtresse l'Institution de la religion chrétienne (1536). On reconnaît au personnage une capacité de travail phénoménale, une intelligence hors du commun, et des talents d'organisateur sans pareil. Sans doute, après la période de bouillonnement intellectuel qui suivit la Réforme, initiée par Martin Luther, était-il nécessaire, sinon indispensable, de stabiliser les initiatives multiples  et de fixer un cadre et une organisation à l'église naissante. Ce fut la grande œuvre de Calvin. Malheureusement, selon l' adage '' le Pouvoir rend fou'',  Calvin, une fois installé solidement dans la ville de Genève, va instituer une véritable dictature sur les habitants de la cité.

Nous ne nous attarderons pas à analyser les péripéties qui ont permis à Jean Calvin de s'installer au pouvoir dans la ville de Genève. Toujours est-il qu'une fois solidement en place [ à relever que ce sont les Genevois eux-mêmes qui avaient fait appel à lui pour restaurer l'ordre dans leur ville, ils le regretteront amèrement par la suite], Calvin va mettre en œuvre un contrôle de la population analogue à ceux des dictatures nazi, stalinienne ou nord-coréenne. Et non seulement un contrôle des mœurs limité à la vie religieuse, mais bientôt étendu à toute la sphère privée de chaque individu. Il va instituer un office spécial chargé de la surveillance des citoyens. Les fonctionnaires de cette police ecclésiastique ont tout pouvoir pour contrôler la population, de jour comme de nuit.
«  A n'importe quel moment, de nuit comme de jour, le marteau de votre porte peut retentir et un membre de la police ecclésiastique apparaître pour une visite sans qu'il soit possible de s'y opposer. Pendant des heures, - car il est dit dans les ordonnances qu'il faut prendre le temps nécessaire, pour procéder à loisir à l'inspection - il faut répondre à une foule de questions, si vous savez bien vos prières ou pourquoi vous étiez absent au dernier prêche de Calvin.... Cette Gestapo des mœurs fourre son nez partout, elle s’assure que les robes des femmes ne sont ni trop longues, ni trop courtes, compte les bagues et les chaussures dans l'armoire. .. Elle passe ensuite à la salle à manger pour  vérifier que l'on n'a pas ajouté au seul plat autorisé une petite soupe ou un morceau de viande, ou si l'on n'a pas caché quelque part des friandises ou de la confiture. Et le pieux policier poursuit son inspection dans la bibliothèque pour savoir si ne s'y trouvent pas des livres n'ayant pas le sceau de la censure ecclésiastique...Il va interroger les domestiques pour leur soutirer des renseignements sur leurs maîtres et n'hésite pas à questionner les enfants sur leurs parents... »(2)
Cette police religieuse maintient la population dans une crainte continuelle et utilise une armée d'espions pour dénoncer la moindre infraction. Les Talibans afghans faisaient preuve du même obscurantisme et du même fanatisme, interdisant consommation d'alcool, la cigarette, les jeux les plus anodins comme le cerf volant. Aujourd'hui, malheureusement, les Talibans sont de retour(3) et aux portes du pouvoir à Kaboul. On veut espérer qu'ils ont changé mais l'espoir est ténu.
En tout cas, pour les femmes afghanes, l'avenir s'annonce sombre.  D'ailleurs, l'opinion sait-elle que même après le départ, provisoire, des talibans, le gouvernement afghan avait mis en place un  ''Département de la Promotion de la Vertu et la Prévention du Vice ''et qu'une police religieuse, les Muhtasib, contrôlaient les bonnes mœurs islamiques de la population ? Pas de chômage donc pour ces fonctionnaires de la vertu.....
En Arabie saoudite, le pouvoir sunnite en place dispose depuis 1940 d'une force spéciale de police très puissante dans le royaume, chargée de la répression du vice. Ce sont les Muttawa, environ 3 500 policiers renforcés par des milliers d'informateurs à travers tout le royaume. En Iran, le pouvoir chiite a sa police religieuse appelée Gasht e Ershad (« Police de la Vertu » en Persan)
Mais revenons à Genève, et compatissons avec les malheureux citoyens de cette ville'' libre''.  Car, désormais tout, strictement tout, y est interdit. Les espions sont légion et dénoncent tout manquement aux stricts principes édictés par Calvin. Comme  cela est habituel dans des régimes oppressifs, les délateurs sont légion. Chacun surveille son voisin et alimente le flot de la délation. Interdits les théâtres, les réjouissances, les fêtes populaires, la danse et le jeu sous toutes ses formes. Interdits tous autres vêtements que les plus sobres, ...les interdits foisonnent, et on se demande ce qu'il est encore permis aux Genevois. Pas grand chose ; il est permis d'exister, et de mourir, de travailler, d'obéir et d'aller à l'église...
Mais comment, dira-t-on, une ville comme Genève, a-t-elle pu supporter un  tel despotisme moral et religieux ?  Le secret de Calvin n'est pas nouveau, c'est le secret de toutes les dictatures. La terreur systématique organisée par un État paralyse la volonté de l'individu. Calvin, cet intellectuel délicat et pieux, aux nerfs sensibles et qui a horreur du sang, devient un monstre violent et cruel contre tous ceux qui refusent de se plier à sa doctrine. 
«  Au cours des cinq premières années de la domination de Calvin, il y eut à Genève treize condamnations à la pendaison, dix à la décapitation, trente-cinq à la mort sur le bûcher. Sans compter les condamnations à des peines de prison, au point que le directeur de la  prison se voit contraint de faire savoir au Conseil ecclésiastique qu'il ne peut plus loger aucun prisonnier ! »(4)
Il faudrait encore évoquer la haine de Calvin envers Michel Servet (5), coupable de mettre en doute la doctrine de la trinité. Cette haine va conduire Calvin  à faire brûler Servet sur un bûcher le 27 octobre 1553.(6) Stefan Zweig, dans son pamphlet '' Conscience contre violence''  rappelle cette histoire atroce. Nous ne l'évoquerons pas et encourageons nos lecteurs à lire ce texte magnifique.
Sébastien Castellion, dans son '' Traité des hérétiques ''(7) va faire entendre la voix de la tolérance, face au fanatisme de Calvin. Bien entendu, il déchaînera contre lui la fureur du réformateur genevois. Seule une mort soudaine, à l'âge de quarante-huit ans, le 29 décembre 1563, lui évitera le procès qui le menaçait.
Alors, les Muttawa, Muhtasib , Gasht e Ershad  et autres polices de la vertu  ont, en Jean Calvin, un précurseur et un modèle. Si nous visitons Genève, rappelons nous aussi cet épisode certes oublié aujourd'hui, mais qui jette une ombre sanglante sur Calvin.
MARC Jean
(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Calvin
(2) Stefan Zweig, Conscience contre violence, Le Castor Astral, p.57-60
(3) pour reprendre le titre d'un livre d'Ahmed Rashid, Le retour des talibans,  publié en 2009    https://www.babelio.com/livres/Rashid-Le-retour-des-Talibans/212424
(4)  Conscience contre violence,p.62
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Servet
(6) A Champel, aux portes de Genève, se dresse un lourd bloc de granit gris. C'est là, au centre de la place du Marché, le 27 octobre 1553, que s'élevait le bûcher où fut brûlé vif Michel Servet, génial médecin, coupable d'avoir osé s'élever contre Calvin. Sur le bloc est gravé : '' Fils respectueux et reconnaissants de Calvin, notre grand réformateur, mais condamnant une erreur qui fut celle de son siècle, et fermement attachés à la liberté de conscience selon les vrais principes de la Réformation, et de l’Évangile, nous avons élevé ce monument expiatoire'' . Dans sa préface à l’ouvrage de Stefan Zweig,  Hervé Le  Tellier  évoque  '' une inscription tartufe, nauséabonde de bigoterie......''
(7)Engagé au cœur de la Réforme du 16ème siècle, Sébastien Castellion est un exemple éclatant d’intellectuel courageux. Disciple de Calvin à Strasbourg puis régent du Collège de Rive fondé par Calvin à Genève, il n’hésite pas à s’opposer à lui et à son entourage. Homme de science (ses traductions de la Bible en Latin puis en Français furent remarquées dès leur parutions) , de foi et de courage, (durant l’épidémie de peste de 1543, il va à l’hôpital de Genève assister les malades alors que les pasteurs calvinistes s’y refusent), il n’admet pas les compromissions et les hypocrisies de la théocratie genevoise et s’exile à Bâle où il survivra dans la misère. Mais c’est l’exécution de Miguel Servet sur un bûcher dressé par les genevois calvinistes qui le poussera à écrire le « Traité des Hérétiques ». Ouvrage précurseur et fondateur, ce texte  jette les bases philosophiques de la tolérance religieuse, et annonce la philosophie des Lumières. LIRE ICI UN ARTICLE DE ROGER GARAUDY SUR CALVIN: http://rogergaraudy.blogspot.com/2012/03/la-memoire-de-calvin.html Envoyer par e-mailBlogThis!Partager sur TwitterPartager sur FacebookPartager sur Pinterest Libellés : Marc, Théologie de la libération