Un soir, vous prononcez la phrase rituelle Il est 21 heures pour inviter votre ado à passer de la position vautré devant un écran à la position vautré dans son lit.
Au lieu des habituels grognements, il obtempère, vous claque un gros bisou et lâche « Bonne nuit maman chérie» avant de s’éclipser.
Une fois l’effet de surprise dissipé, prise de conscience : cette nouvelle obéissance ne doit rien à l’amour qu’il vous porte mais plutôt au fait que vous vous êtes transformée à ses yeux en une sorte de grenade ultra dissuasive qu’il préfère manier avec précaution.
Votre jeune n’est pas fou (c’est votre gosse) il hisse le drapeau blanc fissa.
Sa vie sous le même toit que vous ressemble désormais à la traversée d’un champ de mines.
Il l’a compris depuis le début. Vous, depuis « maman chérie ».
Pourtant, vous déployez toute la diplomatie imaginable pour éviter tout conflit inutile.
Mais il suffit d’un raté, vous explosez et il est trop tard.
Les yeux de votre fils se transforment en lac.
Il quitte la pièce et lâche « C’est plus sympa quand tu fumes, finalement » avant de filer sur son BMX jusqu’à l’autre bout de la ville.
Plantée là, vous lui en voulez à mort de mettre sur le même plan un éventuel cancer du fumeur et une engueulade qui, a priori, ne devrait pas lui coûter la vie.
Ensuite la colère laisse un peu de place à la culpabilité qui vous inviterait bien à vous en griller une, histoire d’avoir les idées plus claires.
Comme il est hors de question de céder aux sirènes de notre esprit retors de tox, il faut bien trouver une stratégie pour vivre ensemble en période de sevrage.
C’est précisément là qu’il ne faudrait pas se précipiter.
Avant d’ouvrir négociations de paix ou hostilités, un tête à tête avec soi-même s’impose.
Se rappeler que notre sentiment de culpabilité n’est pas vraiment un terrain favorable à l’éducation.
Coupable pour un coup de gueule ? Taratata!
Non mais vous avez vu tout ce qu’on leur donne d’amour et de patience, et depuis combien d’années? Alors inutile de s’auto flageller sous leurs regards de chiots tristounets parce que depuis quelques temps on est d’une humeur de chienne enragée.
D’accord, on n’a pas à faire payer notre sevrage au monde entier, on le sait, on prend sur nous, mais parfois on a quelques ratés.
Et après ?
On ne découvre pas aujourd’hui qu’on est faillibles. Ce n’est pas l’absence de nicotine qui nous amène là. C’est la vie.
Nos mouflets d’amour adorés, avec cet arrêt du tabac et notre nouvelle impatience, apprennent la solidarité quand un membre du groupe est en galère.
Ils apprennent la tolérance, la patience.
Ils prennent conscience qu’il existe d’autres nombrils que le leur et découvrent enfin que nous ne sommes qu’humaines et qu’il va falloir qu’ils se démerdent un peu tout seuls. (« T’aider à réviser tes maths ? C’est juste au-dessus de mes forces. Mieux vaut une caisse en proba que le risque de ma main dans ta face, si tu veux mon avis! Fais ce que tu peux, pour la note, on verra bien. »)
On est moins disponibles que d’habitude, plus cinglantes, moins patientes? Bref, moins…étouffantes ?
Ils développent d’autres relations, déplient leurs ailes.
Nos presque-adultes-mais-encore-petiots le vivront mieux si on assume nos positions.
Alors, on cesse de s’en vouloir et on arrête de jouer les perfect mother.
Les conséquences risquent fort de nous surprendre agréablement. Maintenant qu’ils sentent qu’on est prêtes à en découdre, il nous assaisonnent de « maman chérie ». C’est-y pas mignon ?
Un soir, vers 21 heures, vous vous rendez compte qu’arrêter le tabac change bien des aspects de votre existence. Cette décision, vous met au pied du mur et vous oblige à envisager des pans entiers de votre existence sous un jour nouveau. Des pans qui nécessitaient certainement qu’on s’y penche avant mais qui végétaient tranquillou derrière le fameux écran de fumée.
Décidément, ce sevrage ça va faire avancer tout le monde !
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