Circa no future de Nadia Huggins à Londres
Publié le 24 septembre 2019 par Aicasc
@aica_sc
Les photographies de Nadia Huggins sont, pour moi, comme une madeleine de Proust. Elles me replongent dans mes propres expériences et sensations. Et c’est sans doute pourquoi je les apprécie particulièrement. Dans la catégorie photographique l’homme et la mer, on retrouve le plus souvent, l’homme face à la mer, l’homme contemplant l’immensité de la mer, le travailleur de la mer. A ma connaissance, rarement l’immersion, la fusion comme chez Nadia Huggins.
Nadia Huggins est une photographe autodidacte de Saint-Vincent, Grenadines. Ses photographies explorent la culture et l’identité des Caraïbes à travers les portraits, les autoportraits et le paysage. Son travail a été publié dans, Pictures from Paradise : A Survey of Contemporary Caribbean Photography, et See me here : A Survey of Contemporary Self-portraits from the Caribbean. Elle a exposé dans Wrestling with the Image : Caribbean Interventions à Washington, DC. ; Pictures from Paradise au CONTACT Photography Festival à Toronto, Canada; et In Another Place, And Here à la Galerie d’art du Grand Victoria, C.-B., Canada. Elle a reçu un prix de photographie au FESTIVAL CARIBEEN DE L’IMAGE du Mémorial Acte en Guadeloupe pour sa série Circa no future. Nadia Huggins est designer graphique et co-fondatrice du magazine des arts visuels de la Caraïbe ARC.
Du 4 octobre au 17 novembre, la Galerie NOW de Londres présente une exposition individuelle, HUMAN STORIES:CIRCA NO FUTURE.
Le titre entraîne ces images de félicité immédiate vers une interprétation pessimiste. Faut – il l’entendre de manière négative : Ici, pas d’avenir ou plutôt comme une affirmation d’adhésion totale à l’épanouissement de l’instant ?
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Nadia Huggins photographie l’interaction du corps et du milieu marin, tantôt son propre corps, tantôt ceux de jeunes adolescents en train de s’amuser et de plonger.
Le sujet, humain ou animal marin, est au centre de la composition, capté de très près, isolé dans le grand bleu du ciel et de la mer mêlés, tantôt totalement immergé, tantôt tout juste émergeant. La jonction entre mer et terre est fluctuante mais perceptible, oblique, horizontale, en dessous, au dessus. Néanmoins, c’est l’impression d’une immersion protectrice qui prévaut, une sensation d’intimité avec la mer tantôt fluorescente, tantôt dorée par le jeu des rayons du soleil, pétillante des millions de bulles initiées par le moindre battement de bras. L’océan lui-même prend une personnalité, à la fois archétypale et émouvante, celle de la mère qui vous enveloppe et offre à l’être un espace sûr et réconfortant.
« L’expérience de la plupart des gens avec la mer se produit au niveau des yeux avec l’horizon et ils sont inconscients de ce qui se passe sous la surface » explique Nadia Huggins qui documente l’interaction entre le paysage marin et son corps, jouant avec la flottabilité, la respiration et la profondeur. Elle capte ce moment particulier du temps suspendu en retenant sa respiration pendant de courtes périodes de temps pour capturer chaque image dans un lieu familier qu’elle retrouve régulièrement. Les collages numériques de son corps et d’organismes marins soulignent la fusion de l’être et de l’élément liquide.
Dans sa quête photographique, elle est davantage intéressée par la pureté de l’instant, par ce que l’on ressent plus que par ce que l’on voit et, dans la construction de l’image, par ce qu’on laisse de côté plus que par ce que l’on inclut.
Dans la série Circa No future, elle capte la liberté du corps des jeunes garçons dans l’océan et essentiellement l’instant fugace de vulnérabilité, au moment précis du saut, lorsqu’ils coulent dans l’eau, lorsque l’on ne peut penser à rien, lorsque toute construction sociale est abolie
C’est une approche subtile, positive et contemporaine de l’identité caribéenne à travers cette expérience marine et sensuelle partagée, certainement constitutive de cette identité. C’est un positionnement original, sous un angle individuel aux antipodes des visions historiques et négatives où tout un peuple sombre et est enseveli par les flots, bien plus fréquentes dans l’art de la Caraïbe d’aujourd’hui
En réalité, ces images se passent de tout commentaire. Il suffit de ressentir.
Dominique Brebion