Ce muret, d’environ 1 mètre sur 1 et de 40 centimètres d’épaisseur, fait de terre compressée directement prélevée sur le terrain, était le premier pan d’une réalisation somptueuse : un four à pizza ou une buvette, je n’ai jamais trop bien su, mais peu importe.
Un édifice mégalomaniaque qui devait s’élever à l’endroit même qu’occupait la fameuse maison de paille qui avait fini par disparaître, emportée par les flammes.
Une construction illégale qui a fait monter les tours de la Municipalité qui avait décidé que jamais, au grand jamais, plus personne ne lui imposerait un nouveau psychodrame maisondepaillesque.
Une minuscule construction de pisé, érigée sur les vestiges d’un muret de pierre qui, aux yeux de la Municipalité, a pris les dimensions d’un mausolée dans lequel elle a cru voir la dépouille de son Autorité commencer à se décomposer.
Car, en effet, comment expliquer autrement l’attitude hystérique qui a entouré cette «affaire» qui a fini en «Une» de 24 Heures ? Comment expliquer qu’un misérable muret de terre déclenche une opération mobilisant une quinzaine de policier, sept ou huit maçons, un camion-grue et des dizaines de litres de sueur ?
Comment expliquer l’autoritarisme des autorités lausannoises qui voient rouge – si l’on peut dire – à la première entorse, aussi modeste et estimable soit-elle à sa police des constructions. Comment expliquer cette réaction disproportionnée autrement qu’en se demandant si l’Autorité n’est pas en train de perdre de son autorité ?
Une chose est certaine, la Municipalité de Lausanne ne tolère rien, vraiment rien, sur le talus maudit, mais verdoyant, qui s’écoule entre les rues César-Roux et Saint-Matin.Pire, elle n’accepte même plus de parler, ni avec ces «gens-là», comme ils disent, ni avec celles et ceux qui parlent avec eux. Un climat de mépris, qui selon moi, est bien plus grave que l’illégalité, réelle mais survalorisée, de la construction.
Un climat de délétère illustré par les propos du responsable du Service des gérances de la Ville qui a eu le bon goût de dire à ces «gens-là» qu’il y aurait bientôt un bistrot social pour eux tout près ! Un bistrot social qui, rappelons-le, est destiné aux «marginaux [qui] sont aujourd’hui refusés dans les établissements publics et [qui] se rassemblent à la Riponne pour consommer des boissons alcoolisées.»
Un climat de mépris qui explique sans doute pourquoi aucun des municipaux à l’origine de cette destruction forcée n’était présent sur les lieux pour expliquer le pourquoi et le comment de cette opération de terrassement encadrée par la police.
Une absence de direction politique qui a conduit à laisser face à face ces «gens-là», les ouvriers de l’entreprise de démolition et une quinzaine de policiers qui tous avaient l’air d’avoir beaucoup mieux à faire que de jouer aux Indiens et aux cow-boys. Une démonstration de force de la part de la Municipalité qui montre seulement que son autorité se nourrit de confrontation et pas de discussion. Un aveux de faiblesse que la police, les ouvriers et ces «gens-là» ont dû gérer seuls.
Et ils y sont arrivés avec une certaine maîtrise, eux !
Bien évidemment, ces «gens-là» ne voulaient pas laisser détruire leur mur sans lever le petit doigt, bien évidemment les ouvriers n’avaient aucune envie de se confronter à eux, bien évidemment les policiers devaient se dire qu’ils avaient mieux à faire. Mais chacun devait assumer son rôle dans ce non-événement de début d’été dont le scénario a été bâclé par un Syndic-metteur en scène absent du plateau.
Alors ce qui devait arriver arriva, ces «gens-là» s’accrochèrent à leur muret, les policiers les décrochèrent, peut-être pas en douceur parce que cela n’aurait pas fonctionné, mais pas avec trop violence non plus, les ouvriers, menacés de perdre leur travail, démolirent le mur, firent enlever les matériaux divers à coup de camion-grue. Ces «gens-là» partirent, dépités, les ouvriers eurent chaud et firent une petite pause bière, les policiers eurent aussi chaud, surtout «les noirs», et attendirent que des collègues leur livrent de l’eau.
C’est à peu près à ce moment-là qu’un journaliste d’un quotidien fribourgeois fit son apparition sur les lieux. Un peu comme la grêle après les vendanges parce qu’il sortait de chez son médecin. Le journaliste d’investigation investigua. Il investigua tellement bien que ses pas le conduirent à mettre un pied sur une planche d’où sortait un clou sournois. Le clou traversa la chaussure, la chaussette, la peau, la chair. Les «gens-là» étaient partis, les ouvriers lui conseillèrent de se donner de grands coups sur la plaie pour faire cesser l’hémorragie, puis de se désinfecter à l’huile d’olive chaude. La police lui suggéra d’aller plutôt aux urgences et une voiture l’y accompagna.
À part l’Autorité municipale, ce fût le seul blessé de la journée.
P.S. Le journaliste va bien, sinon je ne me serais par permis …