(Les Disputaisons) La critique en poésie, François Huglo

Par Florence Trocmé


Poezibao
propose une nouvelle rubrique, intitulée Les Disputaisons. Il s’agira à chaque fois de débattre d’une question littéraire, en donnant la parole à plusieurs intervenants sollicités directement par le site.
Poezibao inaugure cette rubrique avec une première série à parution aléatoire, qui comportera sans doute une quinzaine de contributions. Le thème : la critique en poésie. Cette nouvelle rubrique comme cette première Disputaison ont été conçues par Jean-Pascal Dubost (lire ici la demande adressée aux contributeurs sollicités pour cette première disputaison).

François Huglo
LIRE, C’EST TOUT

Pourquoi le moi est-il haïssable ? Parce qu’il brandit l’argument d’autorité. Moi, critique, suis autorisé à prescrire : voici ce qu’il faut lire, ce qu’il ne faut pas lire. Mais mon moi, tout le monde s’en fout, moi le premier. « Le plus intime en nous, ce sont les autres », écrit Jean-François Bory. Nous sommes travaillés par ces êtres de désir : les autres, leurs mots, leurs livres. Je ne me dirais pas critique, mais lecteur, comme n’importe qui. C’est différent. Le critique n’est pas là pour lire, mais pour juger. Un balayage diagonal peut lui suffire. Le lecteur ne juge pas. Il continue de lire ce qui l’accroche, le retient. Que dirait-il de ce qui lui tombe des mains ? Que c’est médiocre ? Plutôt que ce n’est pas pour lui, qu’il ne mord pas, qu’il laisse ça à d’autres. Mais l’irritation aussi peut l’accrocher, le retenir, quand il se sent considéré par l’auteur et par l’éditeur comme la cinquième roue du char glorieux de l’autopromotion et de la promotion. « Non à la critique godillot ! », ai-je écrit. On a sa fierté, c’est tout.
Le critique aime, ou n’aime pas. Pouce en haut, pouce en bas, aussi binaires qu’un référendum, un like, un empereur surplombant l’arène. Le lecteur est dedans. Son fantasme n’est pas le geste-verdict donnant la mort ou la couronne de laurier, mais plutôt le projet du Pierre Ménard auteur du Quichotte, de Borges : il se contenterait volontiers d’ouvrir et de fermer les guillemets, de citer le texte intégral. Ou de composer un montage, un collage, à partir de ce qu’il a lu. Un ready made, en quelque sorte. Il ne cherche pas à peser. Sa seule prescription (légère) serait : tolle, lege. Jacques Sojcher parlait de « contagion » : les livres se propagent, volent de lecteur en lecteur, chacun adepte du libre examen. Nul ne décidera pour lui de ce qu’il doit lire ou jeter aux orties. Des atomes s’accrochent, ou non. C’est tout.
L’autorité du critique incite-t-elle à la lecture ? Son « puisque je vous le dis » vaut-il comme argument de vente, ou d’achat ? Sa descente en flammes dissuade-t-elle ? Encore faudrait-il qu’on sache de quoi il parle. Or, il ne parle que de lui, de ses goûts, de son goût, excellent puisqu’il occupe la position de critique ! Le lecteur n’occupe aucune position, il navigue au gré des livres qu’il lit, chacun émet un coup de dés, chacun décide. Il prend un risque, il recommence, il n’est personne. Aucune posture : il n’interviendra pas (zen ?). Il se laisse (ou non) prendre au jeu, se met en jeu. C’est tout.
Lecteur, comme n’importe qui, et pourtant la lecture s’apprend. Quand le jugement tombe, toujours trop vite, comme un couperet, elle reste en suspens. Nos chers professeurs des classes secondaires ne nous demandaient pas notre avis sur les auteurs, mais une attention soutenue au texte. C’est tout.
Ce n’est pas à l’information de mettre en valeur le journaliste. Il est là pour transmettre, pour représenter une partie du monde, ou une population, à une autre. Il peut aussi, aventure comparable à celles de Tintin, reporter et explorateur, tenter d’entrer dans un livre, de le prendre sur lui pour le porter vers d’autres, le leur présenter, le représenter. C’est tout.
François Huglo