(Note de lecture), Ainsi parlait Bernanos, par Pascal Boulanger

Par Florence Trocmé

C’est peut-être aux poètes, avant tout, qu’il faut confier le soin de nous éclairer sur l’œuvre singulière d’un écrivain et d’un essayiste. Gérard Bocholier, l’infatigable animateur de la revue Arpa, poète de l’effacement qui, d’un recueil à l’autre, figure le temporel et l’éternel, nous avait proposé une étude sur Pierre Reverdy : Les chemins tournants de Pierre Reverdy (Librairie Editions Tituli). Il choisit et présente aujourd’hui des Dits et des maximes de vie de Bernanos.
Les romans et les essais de Bernanos, je les ai, pour ma part, toujours lus dans un état de grande fébrilité. Dans la dévastation en cours, l’actualité de ses écrits s’impose. Il a été le grand oublié des travaux littéraires se réclamant de l’avant-garde (sauf erreur de ma part, pas un mot sur Bernanos dans la revue « Tel Quel »). Et pourtant, pris entre les égarements de « L’Action Française » et ceux des Internationales ouvrières, il est l’isolé absolu :
Il y a des milliers et des milliers de jeunes bourgeois français catholiques, pour lesquels l’Eglise n’est pratiquement rien autre chose qu’une grandeur d’établissement. Cette grandeur les exalte, comme elle exaltait Maurras, et ils prennent cette exaltation pour la Foi.
Tout au long du XXe siècle, et jusqu’à ce qu’il ait cru, hélas ! trouver une nouvelle chrétienté dans l’Internationale ouvrière, un nouveau pape en Staline, notre peuple a été un enfant perdu.
Il est d’ailleurs beaucoup question d’enfance – de l’esprit d’enfance – dans les citations choisies. Bernanos n’a jamais été impressionné par les affairistes des Lettres. Son premier livre, Sous le soleil de Satan, il le publie à l’âge de 38 ans. Tous ses autres livres s’écriront dans des situations précaires, sur les tables des cafés, en exil (au Brésil durant sept années), et en serrant les dents : Ce que j’écris semble un balbutiement misérable, je ne m’amuse pas, je serre les dents. Il ne conçoit pas la littérature comme un supplément d’âme mais comme un rapport charnel avec la vérité, celle du Mal dont il est, comme les écrivains de sa génération, le témoin. Mais un témoin au combat, scandalisé par l’aggravation de la puissance de mort, par la montée des extrêmes et par la volonté de puissance qui n’est que le moteur du ressentiment contre Dieu et les pauvres.
L’humilité et la pauvreté sont une façon de se tenir dans l’être. Bernanos, comme Pascal, distingue les grandeurs d’établissement (les grandeurs conventionnelles) des grandeurs naturelles (les grandeurs de l’âme). Cette distinction apparaît dans toute son œuvre.
Il ne s’agit pas d’enrichir le pauvre, il s’agit de l’honorer, ou plutôt de lui rendre l’honneur.
Le monde moderne a deux ennemis : l’enfance et la pauvreté.
L’enfance et la pauvreté, pour Bernanos, sont toujours lavées des couleurs mondaines du politique. Et ce chrétien-là a toujours été dans l’endurance, face aux ténèbres, et dans l’espérance, autrement dit, dans l’esprit d’enfance retrouvé à volonté.
La grâce est une inconnue, par quoi le calcul des réalistes est toujours faussé.
Pascal Boulanger

Ainsi parlait Georges Bernanos,
Dits et maximes de vie choisis et présentés par Gérard Bocholier, Arfuyen (Coll. Ainsi parlait), 2019, 152 p., 14€
Sur le site de l’éditeur
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