Il était temps ! Une poignée de banques, prenant (enfin) pleinement conscience de la dangereuse impasse dans laquelle les mènent leurs vieux cœurs de systèmes informatiques, ont décidé de mettre en commun leurs ressources afin de définir une approche adaptée aux exigences contemporaines et résistante au risque d'obsolescence.
Quoi qu'en pensent les responsables de nombreux établissements, les composants techniques qui constituent les fondations même de la banque, souvent identiques à ce qu'ils étaient il y a plusieurs décennies (à une époque on n'existaient pas de services en ligne ou mobiles), ne sont plus en mesure de faire face aux enjeux actuels de multiplication des points de contact avec les clients, d'accélération constante des opérations, de réactivité aux nouveaux besoins et attentes, d'innovation permanente…
À vrai dire, la cause principale de leurs limitations n'est probablement pas tant l'âge de ces plates-formes que la manière dont elles se sont développées au fil des années, par accumulation de fonctions interdépendantes. En guise de confirmation, un signe qui ne trompe pas est l'hésitation et l'incertitude de quiconque est amené à répondre à la question : « qu'est-ce qu'un cœur bancaire ? ». Alors que, fondamentalement, il devrait s'agir uniquement du module de tenue de comptes, il comprend maintenant presque tous les métiers (certains y intègrent jusqu'à la gestion des clients, parait-il !).
Avec quelques fournisseurs de technologies (dont l'inévitable IBM), 6 institutions financières de premier plan – 4 américaines, Citi, JPMorgan Chase, PNC et Wells Fargo, et 2 asiatiques, Bangkok Bank et CIBC – admettent finalement que la situation est intenable et ont donc lancé une initiative au sein du BIAN, association dont la vocation est de définir un référentiel d'architecture informatique commun pour le secteur, afin de créer une plate-forme à l'état de l'art permettant d'aborder l'avenir avec confiance.
Le plan est d'autant plus ambitieux qu'il ne suffira pas de concevoir un nouveau système, simple remplacement du précédent, qui serait susceptible de retomber très rapidement dans les mêmes pièges, mais d'inventer un modèle radicalement différent, qui devra être à même de résister à l'usure du temps. La réponse proposée est donc une « banque sans cœur » (« coreless bank »), dans laquelle ce sont des services élémentaires, modulaires et interchangeables, qui assureront les indispensables fonctions de base.
Initialement, seul un projet pilote est envisagé, qui devrait couvrir quelques produits destinés au grand public (paiements, crédit à la consommation…) et, s'il est question d'implémentation effective, elle sera probablement laissée à la charge des partenaires technologiques de l'initiative. L'objectif serait de mettre à la disposition des banques un jeu de composants faciles à déployer (y compris sur des infrastructures infonuagiques), accessibles par l'intermédiaire d'API, pour réduire les adhérences.
Il restera cependant de sérieux obstacles à franchir avant de réaliser cette vision. Non sur la concrétisation de la plate-forme elle-même, puisqu'elle n'est guère qu'une déclinaison des bonnes pratiques d'architecture actuelles, mais sur la capacité des institutions financières à la mettre en place dans leur environnement. En effet, le principal frein à la modernisation des cœurs bancaires est et reste la transition entre deux systèmes, dont celui qui doit céder sa place est enfoui dans un amas inextricable.