Dans son avant-propos, Alain Finkielkraut explique le pourquoi de son livre:
Comme l'a écrit Kierkegaard: "Penser est une chose, exister dans ce qu'on pense est autre chose." C'est cet "autre chose" que j'ai voulu mettre au clair en écrivant, une fois n'est pas coutume, à la première personne.
En autres épithètes inamicales, celle de réactionnaire est accolée au nom d'Alain Finkielkraut. En retraçant à grands traits son parcours dans A la première personne, il entend saper le bienfondé de cette épithète.
En mai 1968, il est conformiste et prend le parti de l'insoumission bien au chaud dans la foule. Mais son expérience de la vie et ses lectures démentent les formules définitives de ce qu'il appelle sa tribu générationnelle.
En 1977, il coécrit, avec Pascal Bruckner, Le Nouveau désordre amoureux. Ils y décrivent la merveille de la dissymétrie, l'inégalité des vertiges, le ravissement parfois douloureux par une présence qui ne se laisse pas saisir.
En 1979, dans Au coin de la rue, l'aventure, au rêve révolu de marier Marx et Freud ils opposent les visitations de la grâce et du hasard au coin de la rue, c'est-à-dire au cœur de la banalité, dans les interstices de la vie la plus quotidienne.
En 1980, il écrit, seul cette fois, Le juif imaginaire avec la même volonté de trouver les mots justes pour une manière d'être au monde que le discours de l'époque ne [prend] pas en compte. Dans ce livre, il se reproche son cabotinage identitaire:
On ne porte pas le pyjama rayé et l'étoile jaune de génération en génération.
Il croit en avoir fini avec la question juive. C'est sans compter avec le négationnisme puis avec le retournement de la Shoah contre les Juifs qui est opéré par des intellectuels de gauche…
Il aime Israël, ce minuscule Etat qui tient tête à ses ennemis:
L'amour cependant ne me rend pas aveugle: n'en étant pas à voir ce que je crois mais croyant encore ce que je vois, je plaide depuis bientôt quarante ans pour la fin de l'occupation et la solution de deux Etats.
Alain Finkielkraut parle de ses rencontres, notamment avec Michel Foucault, qui lui a été présenté par Pascal Bruckner et dont il ne devient pas le disciple pour autant; avec Milan Kundera, qui a changé sa vie et lui a permis de réaliser que l'hermétisme n'était pas un gage de supériorité et lui a redonné le goût de la vérité romanesque, sans qu'il devienne romancier.
Après avoir tenu pour suspectes toutes les patries charnelles, Israël excepté, la pensée dissidente de l'est lui dessille les yeux et il est confronté à l'identité européenne et à l'identité nationale qui n'ont rien à voir avec le racisme:
L'Europe ou la nation, disais-je avant de lire Kundera. J'apprenais, en le lisant, que l'Europe et la nation pouvaient être une seule et même cause.
Il réalise aussi après le 11 septembre 2001 que le social ne se ramène plus à l'économique:
Les individus ne sont pas mus seulement par leurs intérêts, mais par leurs passions, leurs croyances, leurs coutumes, et d'autres forces collectives sont à l'oeuvre que la caste des dominants et la masse des dominés.
Il constate que, pour les Français, l'identité nationale s'avérant périssable, ils cessent de la traiter par le mépris ou de la prendre pour argent comptant. Ils en reconnaissent l'importance vitale, et les enfants gâtés qu'ils étaient se convertissent à la gratitude. Ils ne renient pas la philosophie de l'émancipation: ils ont simplement appris à dire "merci" et, contre vents et marées, ils veulent continuer à pouvoir le faire.
C'est de dire cela, de combattre le fanatisme islamique et de ne rien céder au nihilisme égalitaire que lui opposent la France et l'Europe, qui valent à Alain Finkielkraut d'être traité de réactionnaire: R est la nouvelle lettre écarlate, avec toutes les conséquences que ce label d'infamie peut avoir pour celui à qui on le décerne.
La cerise sur le gâteau est son élection à l'Académie française en 2014, qui donnent de l'urticaire aux dominants du jour, singulièrement convaincus de combattre les idées dominantes...
Ceux que cela intéresse liront certainement avec profit deux chapitres de son livre que l'académicien consacre essentiellement à Heidegger…
Dans le dernier chapitre, intitulé Amor mundi, il exprime le souhait que la politique reprenne ses droits, selon la signification qu'Anna Arendt donne à cette expression:
Amour ou plutôt dévouement pour le monde dans lequel nous sommes nés.
Enfin, comme il en est une des victimes, Alain Finkielkraut parle en connaissance de cause dans l'épilogue de son livre du pilori en guise de polémique:
Ce qui caractérise notre temps, ce n'est pas l'évitement irénique ou apeuré des querelles, c'est leur remplacement par la pratique féroce de l'excommunication.
Francis Richard
A la première personne, Alain Finkielkraut, 128 pages, Gallimard
Livres précédents chez Stock:
La seule exactitude (2015)
L'identité malheureuse (2013)