Qui regarde qui ? Quand la peintre regarde la jeune fille dont elle fait le portrait, que regarde cette jeune fille ? La question vaut aussi pour la réalisatrice, et pour toute création artistique. On ne peut se limiter à des codes, il faut aussi faire entrer la vie, les regards échangés, les dialogues.
Le film de Céline Sciamma aborde aussi les émotions qui naissent de la musique. La musique vivante, puisque l’époque où est situé ce film ne connaît pas encore les enregistrements. Héloïse (Adèle Haenel) souhaite aller à la messe pour écouter de la musique. Marianne (Noémie Merlant) soulève le drap qui recouvre le clavier pour faire entendre l’instrument. Un choeur de femmes chante dans la nuit un air traditionnel remplissant l’obscurité et faisant jaillir le feu.
Il y a ce moment qui m’a bouleversé : Héloïse lit l’histoire d’Orphée et Eurydice et, en particulier, l’instant où Orphée se retourne, perdant à jamais Eurydice. Trois jeunes femmes sont autour de la table ; chacune exprime un avis différent à propos de ce geste ; ces trois avis, je les ai connus ou je les reçois, m’offrant une incroyable ouverture sur l’idée de la perte.
Le film interroge la situation des artistes femmes à qui l’époque interdisait, par exemple, de peindre des modèles masculins. La situation des femmes, celle dont la fille aînée s’est suicidée, la plus jeune qui doit avorter, celle qui est payée pour réaliser un portrait, celle qui sort du couvent pour être mariée, quatre états sociaux de la femme.
Bien sûr, c’est une histoire d’amour, de désir. Mais c’est surtout, à mes yeux, un dévoilement, la recherche de la beauté, de la relation, de la place non seulement de la réalisatrice, des actrices et des celles et ceux qui interviennent dans la fabrication du film, mais aussi de celle du spectateur, de celles et ceux qui regardent.