Selon le compte-rendu publié par FinTech Futures d'une intervention d'Alyson Clarke (qui fait donc partie du cabinet) à l'occasion de la conférence Intersect 2019, celle-ci affirme que le facteur essentiel de la fidélité des clients à leurs institutions financières est l'interaction humaine, tandis que les outils « digitaux » seraient, a contrario, les moins importants. Cette certitude lui permet de conclure que les stratégies actuelles de désinvestissement dans les réseaux d'agence sont une erreur majeure.
Si je m'arrête aujourd'hui sur ce cas particulier d'aveuglement, c'est parce que le raisonnement qui le soutient est en apparence d'une logique inébranlable, qu'il est extrêmement répandu parmi les décideurs du secteur financier… alors qu'il comporte une faille critique que tout le monde persiste à ignorer, consciemment ou non.
Ainsi, Alyson Clarke estime que le meilleur moyen de satisfaire et, par conséquent, retenir les clients consiste à renforcer les compétences et l'autonomie des conseillers, qui doivent être capables d'établir des rapports chaleureux, posséder une expertise financière sans faille, développer un sixième sens grâce auquel ils savent repérer les personnes qui ont un besoin et s'organiser pour y répondre sans délai, en alignement avec l'impatience caractéristique de notre époque. Tout cela est vrai… sauf le point d'entrée !
Personne ne contestera que les consommateurs et les entreprises attendent aujourd'hui de leur banque qu'elle comprenne leurs attentes, qu'elle soit hyper-réactive, qu'elle maîtrise les arcanes de la finance (c'est la moindre des choses, non ?)… J'ajouterais à cette panoplie la transparence et l'accessibilité. Reste alors le contact humain : pourquoi ces qualités devraient-elles être obligatoirement portées par un conseiller en chair et en os ? Une plate-forme bien conçue ne pourra-t-elle pas toujours faire mieux ?
Croire que la technologie ne pourra pas prendre l'avantage parce qu'elle ne remplit pas le critère de proximité humaine, alors qu'elle peut satisfaire tous les autres besoins avec infiniment plus d'efficacité, est un étrange raccourci de l'esprit. Prédire, comme le fait Alyson Clarke, que les jeunes clients de Monzo reviendront dans les agences traditionnelles dès que leur vie les appellera à rechercher des produits plus sophistiqués est avoir bien peu de foi dans la faculté des néo-banques de changer le monde.
L'erreur à ne pas commettre est de considérer que la « digitalisation » de la finance se réduit à l'ajout d'interfaces web ou mobiles sur les services existants. C'est d'ailleurs un défaut qu'on retrouve quand une autre équipe de Forrester compare la maturité des établissements britanniques sur la base de leurs applications mobiles, en considérant essentiellement leur richesse fonctionnelle et leur expérience client (en l'occurrence, il semble qu'il soit surtout question d'ergonomie et de facilité d'utilisation).
En réalité, la vraie mutation commence quand l'ensemble des exigences des consommateurs et des entreprises sont mieux prises en compte par les logiciels que par les humains. La force de l'habitude n'a pas à ce jour provoqué de bascule massive mais, au fur et à mesure des progrès du conseil automatisé, de la réactivité aux demandes, de l'émergence de possibilités inédites…, arrivera un moment où l'écart sera devenu tellement flagrant que la disparition du contact avec un banquier ne sera plus un enjeu.