Tout débute en 1919. Deux producteurs français, Louis Nalpas et Serge Sandberg, sont à la recherche d’un terrain apte à accueillir de nouveaux studios de cinéma. Ils jettent leur dévolu sur le domaine de la "Victorine", du prénom de la nièce du propriétaire, Victor Massena. Les studios de la Victorine sont nés. Situé à l’ouest de Nice, l’emplacement est immense (7 hectares) et devient l’un des principaux lieux de tournage en France.
En 1924, les propriétaires rencontrent déjà des problèmes financiers et cèdent les studios à Rex Ingram, un réalisateur venu des Etats-Unis. Celui-ci rêve de faire de ces lieux un nouvel Hollywood. Des brochures le présentent même comme le "Hollywood européen". Les équipements sont modernisés et deviennent une référence dans le monde du cinéma. "La Victorine" connaît une période faste et prospère, l’obligeant même à refuser des demandes. Vers 1930, l’avènement du cinéma parlant va rebattre les cartes et les studios niçois vont perdre de leur superbe. Ils seront cédés à Gaumont en 1932 mais il faudra attendre la période de l’Occupation pour qu’ils connaissent un nouvel épisode historique. Alors que l’armée allemande marche sur Paris, le petit monde du cinéma afflue sur la Côte d’Azur. Des films remarquables y sont alors tournés, parmi lesquels Les visiteurs du soir de Marcel Carné (1942), L’éternel retour de Jean Delannoy (1943) et surtout, Les enfants du paradis, de Marcel Carné (1943).
Après la guerre, les studios vivent une période trouble. Durant le conflit, les studios italiens Cinecittà, détenus par le pouvoir fasciste, en avait pris le contrôle. À la Libération, ils sont mis sous séquestre et deux plateaux sont détruits par un incendie. Dès lors, ses activités vont être chaotiques, alternant périodes fastes et longs mois sans activité.
En 1950, l'État reprend la gestion des studios avec l’engagement financier du groupe UGC. Le sud-Est de la France est à nouveau sous le feu des projecteurs de l’actualité cinématographique. Alfred Hitchcock vient tourner La main au collet, avec Cary Grant et Grace Kelly. Roger Vadim fait briller Brigitte bardot dans Et dieu créa la femme. Jacques Tati fait revivre son Monsieur Hulot dans Mon oncle. Malgré tout, les résultats financiers ne sont pas bons. Craignant l’acquisition des terrains par des promoteurs immobiliers, la ville de Nice les rachète en 1960 et les protège en les déclarant d’utilité publique.
En 1970, un incendie détruit trois plateaux qui seront remplacés par un seul plateau de 1270m², faisant de lui le plus grand du pays. Les affaires reprennent en 1973 avec le tournage de La nuit américaine de François Truffaut, futur Oscar du meilleur film étranger. En 1974, Mireille Darc, Alain Delon et Claude Brasseur viennent tourner Les seins de glace, de Georges Lautner. Mais durant les années qui suivent, les cinéastes préfèrent les tournages à l’extérieur plutôt qu’en studio. Les années 80 sont tout de même marquées par le retour du cinéma américain avec notamment le tournage du film Le diamant du Nil avec Mickael Douglas.
En 1999, le groupe franco-hollandais Euro Media est choisi par la mairie pour prendre en charge la gestion des Studios, rebaptisés "Studios Riviera". Durant les années 2000, ils vivotent, accueillant ici et là quelques productions françaises (Brice de Nice et Brice de Nice 3 en 2005 et 2016) et étrangères (Woody Allen pour Magic in the Moonlight en 2014). Mais l’activité reste décevante. Une déception partagée par le maire de Nice. En conseil municipal, il critique ouvertement Euro Media, qui selon lui, «"'a pas développé l'activité et modernisé les équipements comme nous aurions pu l'attendre". Résultat: en 2017, Christian Estrosi décide de la reprise en gestion directe des studios par la collectivité.
Pour définir la nouvelle stratégie à adopter, il met en place un "comité Victorine", composé de personnalités du cinéma parmi lesquelles Claude Lelouch, Costa Gavras, Michèle Laroque, Thierry Frémaux (délégué général du Festival de Cannes), Iris Knobloch (présidente de Warner France) et Éric Garandeau (ancien conseiller culturel et audio-visuel de Nicolas Sarkozy et ancien président du CNC). Un comité qui préconise de recentrer l’activité sur le cœur de métier, le cinéma, tout en laissant la porte ouverte aux séries TV et aux films publicitaires haut de gamme. Surtout, il juge indispensable la modernisation des équipements ainsi que la construction d’un plateau supplémentaire de 3.000 m². Enfin, le studio devra être à la pointe de la technologie pour répondre aux demandes croissantes de productions incluant des effets numériques dans leurs films.
Au regard de l’état actuel du site niçois, le travail à réaliser semble colossal. Après les effets d’annonce, le maire de Nice doit désormais s’atteler à trouver des opérateurs privés pour financer un chantier estimé à plusieurs dizaines de millions d’euros. Il devra ensuite attirer les maisons de production, plus sensibles à de faibles coûts de main d’œuvre (dont ce n’est pas la qualité première de la Victorine) qu’à l’âge ou la réputation historique d’un site de tournage.
Dans un marché des studios cinématographiques où la concurrence est - à minima - à l’échelle européenne, la Victorine devra probablement partager l’affiche avec d’autres studios. Un partenariat à l’échelle régional, avec notamment le site de Martigues, est ainsi évoqué.
Malgré ses cent ans et une vie qui n’a ressemblé en rien à un long fleuve tranquille, les studios de la Victorine font encore l’objet de nombreux projets ambitieux et avant-gardistes. Hollywood n’a qu’à bien se tenir. Les affaires politiques ne sont jamais loin des affaires financières. Les premières entraînant le plus souvent les secondes. Octave Mirbeau nous l’a déjà montré avec "Les affaires sont les affaires", où les deux univers sont mêlés et qui connut le...