A la fin des années 70, Jeff Valdera avait seize ans et,
pour la dernière fois, avait pris la direction de Davos où il accompagnait
souvent sa tante Judith à l’hôtel Waldheim. Elle avait des vues sur le
propriétaire, Johann Meili, tandis que Jeff se remettait difficilement de
l’éblouissement provoqué, dans le train de nuit qu’ils avaient pris, par une
jeune Suissesse lui ayant offert une vue sur ses seins nus puis sur sa vulve.
Une grande première, un souvenir inoubliable…
C’est en tout cas l’image qui lui revient quand, beaucoup
plus tard, il reçoit une carte postale, d’un côté une photo de l’hôtel Waldheim,
de l’autre une phrase non signée, fautes comprises : « Ça vous rappel queqchose ? » Oui : les seins,
la vulve, l’excitation plutôt que le temps passé dans le lieu qui donne son
titre au roman de François Vallejo : Hôtel
Waldheim.
Il y a là une énigme déclinée sur plusieurs niveaux, comme
on le dirait d’un jeu où il faut trouver une clé pour gravir les échelons de la
difficulté. Premier niveau : qui est l’expéditeur de cette carte
postale ? La réponse arrivera toute seule ou presque, au troisième envoi,
signé : F. Steigl. Ce n’est pas encore suffisant pour savoir qu’il s’agit
d’une expéditrice, mais cela viendra.
Entre-temps, d’autres souvenirs sont remontés à la surface
et l’on commence à se faire une idée de ce que fut la villégiature de cet été.
De longues conversations sur Thomas Mann, après lectures imposées (mais le
devoir avait été agréable) par une résidente incapable d’imaginer que l’on peut
séjourner à Davos sans avoir lu La
Montagne magique. Des parties d’échecs et de go, des échanges avec un
directeur sensible à la jeunesse de Jeff, de longues promenades dans les
environs…
A ce moment, l’essentiel reste obscur, et pour cause :
Frieda Steigl, enfin rencontrée et enfin caractérisée par son genre féminin,
veut savoir tout ce qui s’est passé cette année-là dans l’hôtel, quel rôle Jeff
a joué dans une partie dont il semble n’avoir pas eu la moindre conscience, et
pourquoi le père de Frieda, Friedrich, a ensuite disparu – Friedrich qui se
trouvait bien à l’hôtel au même moment, mais dont Jeff, apparemment, ne se souvient
pas.
L’écheveau de la mémoire est très emmêlé et y retrouver
quelque chose est un travail de longue haleine – en même temps que le véritable
sujet du roman. En un sens, peu importe qu’il se déroule, au moins pour l’époque
dont il faut reconstituer la trame, sur fond de guerre froide. Non que ce soit
totalement indifférent : John Le Carré semble être passé lui aussi par
l’hôtel Waldheim (le lecteur a le droit de tout imaginer) pour y placer
quelques-uns des pions qu’il manipule avec tant d’habileté dans les livres
placés dans le même contexte.
Si l’on songe à John Le Carré, c’est que François Vallejo aurait pu
revendiquer l’occupation du même terrain. C’est dire le respect inspiré par un
roman passionnant.