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Pourquoi une retraite dans le désert ?

Publié le 18 septembre 2019 par Anargala
@SupremeCurlz✨Il y a bientôt une retraite dans le désert, organisée par A Ciel ouvert, dans le Sahara. Un campement dans les dunes, sous le bleu, retraite sur le désir, l'absolu comme désir, le centre de soi comme désir, le plus-grand-que-soi comme désir.

Je voudrais vous dire quelques mots sur cette retraite.

Il y a une loi :

Plus je mets de choses au dehors,
plus je tends à être pauvre au dedans.

C'est une loi, universelle.

Dans l'Histoire des Hommes, je vois cette loi. L'historien  Leroi-Gourhan la voyait. Comme ceci :

Nous observons que l'homme a d'abord vécu des dizaines de milliers d'années sans rien mettre au-dehors de ce qu'il vivait au-dedans. 

Je veux dire qu'avant les débuts de l'art (il y a 35 000 ans ?), l'homme a existé pendant des dizaines de milliers d'années. Or, il avait un cerveau identique au notre, et même légèrement plus volumineux. Il est donc raisonnable de penser qu'il avait une vie intérieure semblable à la notre.  

Mais il ne projetait pas à l'extérieur. Pas de signes, pas de symboles, pas de figures, pas d'outils. C'est quand même pas rien, des dizaines de milliers d'années sans symboles, sans figures, sans images au dehors, sans écrans.

Peu à peu, nous, les humains, nous avons projeté, fixé, de plus en plus de choses de notre vie intérieure dans des supports extérieurs parois de grottes, murs, statues, tablettes, papyrus, tissus, papier, écrans...

Or, il y a là comme un phénomène de vases communicants. Plus l'intérieur se fixe à l'extérieur, plus ils s'appauvrit. C'est la trajectoire mentale de l'homme sur le long terme. On observe d'ailleurs une perte de volume cérébral corrélée au développement culturel, en particulier à partir du néolithique. Mais il se pourrait que cette perte de volume cérébral et de taille soit aussi due à l'agriculture et à un régime moins riche en protéines animales.

J'ai toujours été frappé par l'épidémie de bêtise qui sévit parmi nos élèves. Plus moi et mes collègues nous nous démenons pour fournir du spectacle, plus notre public (ce qui est déjà une perte !) devient débile, au sens littéral du terme : plus le professeur s'agite, plus sa classe semble inerte, insensible, blasée. L'adolescent des années 2010 paraît être revenu de tout avant d'être allé nulle part. Quand j'étais élève, un conte de la maîtresse, et la magie m'envahissait. Puis les films, les vidéos avec les gros postes sur leur chariot ont fait irruption. Mais déjà, j'avais noté que la magie des simples contes en avait souffert. Je voulais toujours plus. Plus de choses, là, dehors, visibles. 

Comme si, moi et les autres, et nous tous depuis, nous étions entrés dans une spirale infernale, une forme d'addiction, caractérisée par sa logique du "toujours plus", du toujours plus au-dehors pour combler le toujours-moins au-dedans. 

Nous le savons tous, n'est-ce pas ?

Plus nous projetons au-dehors, plus notre intérieur s'appauvrit. Comme le mouvement d'une balance.

Plus je m'habitue à être passif devant un spectacle extérieur, moins mon imagination est active à l'intérieur.

Peu à peu, sans m'en rendre compte clairement, je deviens un légume. A force d'être devant des écrans, je deviens moi-même comme un écran, statique, inerte. Je deviens pur spectateur. Passif. Capricieux - ô ça oui ! - mais passif. Comme les prisonniers de la caverne de Platon. Je n'évoque pas là un phénomène occulte et nébuleux, mais un fait de notre système nerveux. 

La culture a pris ce chemin, depuis 35 000 ans : celui de fixer l'intérieur à l'extérieur, aux dépends de l'intérieur. Plus je me fais témoin (témoin !) de spectacles guidés à l'extérieur, plus je perds mon pouvoir d'explorer à l'intérieur. Vous me suivez ?

J'en observe les conséquences partout. Notre pouvoir d'écoute, d'attention, diminue. Notre besoin d'être guidé augmente. Dans les cours de philo, de yoga ou d'autre chose, les gens veulent être guidés, ils veulent "savoir quoi faire", ils veulent des modes d'emploi, des instructions pas à pas. Ils ne savent plus partir de simples suggestions. Non. Leur moteur interne ne démarre plus. Noyé. Il faut tout dire. Être "transparent". Expliciter jusqu'à plus soif. Jusqu'au vampirisme. Plus on organise des "activités" pour les enfants, plus ils se lobotomisent. Ils se marionettisent, jusqu'à la navetisation totale, le dégoût au-delà même de l'absence de goût. 

C'est une fuite en avant, une désertification des intérieurs qui fait écho à la désertification extérieure. Là où un mot suffisait, la FNAC échoue, Netflix échoue, puis tout échoue. Toujours plus devient toujours moins. Plus on rajoute de l'engrais, plus le sol devient stérile, inexorablement ; là aussi, comme en écho à la baisse de la fertilité partout constatée. Tout se répond. La logique du toujours plus est une réalité du toujours moins. La croissance - celle-là, du moins - est une décroissance. Les élèves n'ont jamais été aussi passifs et vides que depuis que les vidéoprojecteurs et autres "powerpoints" sont entrés dans les salles de classe, qui ressemblent de plus en plus à des élevages en batterie. 

Soyons francs : Plus le prof passe de vidéos You Tube, plus les élèves sont fatigués, anesthésiés, ennervés, mous. Mais tous, profs, élèves, parents et institutions, semblent hypnotisés par cette spirale infernale. Là où avant la perspective d'un "film" (déjà une vieillerie) réveillait une classe une semaine à l'avance, aujourd'hui même une vidéo de torture animale ne provoque aucune réaction. Juste un regard vague, torve, des paupières lourdes. Il y a quelques restes, mais y a-t-il de quoi faire un être libre ? 

Je crois que nous ne mesurons pas les effets, les conséquences de la logique qui s'est enclenchée il y a 35 000 ans. Oui, car ça ne date pas de la révolution industrielle, tout ça. Ça ne vient pas "d'Occident" (la perte de mémoire est un autre effet paradoxal de la fixation des mémoires sur des supports extérieurs).

Mais, me dira-t-on, c'est justement ce désir de se projeter à l'extérieur qui est à l'origine de la culture. Rejeter cette logique de la projection à l'extérieur - je l'appelle hétéronomiase -, c'est rejeter la culture. C'est rejeter l'humanisme. N'est-ce pas une folle réaction ? N'est-ce pas nourrir le fantasme vain et malsain d'un retour à un Eden perdu à jamais et indûment idéalisé ? 

On observe cela aujourd'hui, en effet. Il y a les anti-Occidentaux d'Occident (la majorité des bobo-écolos), les anti-urbains, les anti-agriculture, les anti-chasse, les anti-humains, les anti-vie et, pour finir, ceux qui pensent que tout à commencé à foirer à l'instant du Big Bang et que, dès lors que quelque chose s'est mit à exister (plutôt que rien), la couille était dans le potage. Vous pouvez sourire, mais ce genre de pensée radicale existe, et depuis longtemps. Songez au bouddhisme ancien et à son "extinction", son nirvâna tout douillet. C'est un rejet radical de l'existence sous toutes ses formes. Eh bien c'est cela, la tentation de l'anti-tout. De même, le Sâmkhya, le Vedânta (de Shankara, pas les Oupanishads en elles-mêmes) et autres philosophies nées du vertige de la prise de conscience de cette logique, s'inscrivent dans cette même ligne de pensée. 

Très tôt, des hommes ont en effet pris conscience du destin tracé par les signes extérieurs. D'où une sacralisation de l'oral et une méfiance vis-à-vis de l'écrit. Les premiers manuscrits du Véda datent du XIème siècle, si ma mémoire (!) est bonne, de même que les premières runes. Platon, après Pythagore, a mis en garde contre l'écrit, c'est-à-dire non contre les livre en eux-mêmes, mais contre la tendance à mettre notre intérieur (imagination, extases et autres items ineffables) dans des supports extérieurs. Il y voyait un cadeau empoisonné, une boîte de Pandore. 

Donc, il y a cette loi :

Plus il y a à l'extérieur,

moins il y a à l'intérieur.

D'où la retraite dans le désert.

Or, une retraite dans le désert, ça n'est pas une retraite en ville (j'en animerai une, plus tard, dans l'une des plus anciennes cités du monde, Bénarès).

Dans le désert, on se fait désert. On ne vient pas "faire son truc" dans le désert. On vient transparent, en se laissant désertifier dans l'espérance de renouer avec la fécondité intérieur. Comme à Noël. 

Donc, désert.

Petit groupe. Je serai l'intermédiaire, pas le guide. Non, pas même le guide. Egalité. Cercle. 

Chaque jour, en cercle : méditation, marche, chant, échange, feu.
Chaque jour, en seul-à-seul : un temps de rencontre, consultation, échange.

Cette retraite s'inscrit dans la tradition du "tantra non-duel du Cachemire" (non mais quel horreur ce genre d'expression !). En réalité, si vous tenez absolument à une étiquette, c'est du shamanisme du Cachemire. C'est plus juste. C'est comme ça.

Désert, petit groupe, silence, espace. Peu pour plus, car moins c'est plus. Intime. Pauvreté pour intensité. Vide pour stimuler l'instinct de plénitude. Voilà pourquoi "une retraite dans le désert". 

...

Lien vers l'organisateur de la retraite, cliquer ici :

https://www.acielouvert.org/programme-detail/desert-le-yoga-du-coeur-et-de-lespace-selon-le-shivaisme-du-cachemire-du-26-10/909/1926.aspx

(mais la retraite permanente, éternelle, est à l'intérieur : mémoire, attention, conscience, autonomie, maturité)

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