Darwin à Bordeaux, Foresta à Marseille, l’Hôtel-Dieu à Rennes, les Grands Voisins à Paris… Autant de friches urbaines ou d’espaces vacants, réappropriés par et pour l’usage de citoyens, de façon temporaire. De l’urbanisme transitoire, ou, comme le définit l’Institut Paris Région (anciennement Institut d’Aménagement et d’urbanisme, qui assiste les collectivités dans la définition de leur projet de territoire, « toutes les initiatives qui visent, sur des terrains ou dans des bâtiments inoccupés, à réactiver la vie locale de façon provisoire, lorsque l’usage du site n’est pas déterminé ou que le projet urbain / immobilier tarde à se réaliser ».
S’approprier les lieux en transition
« Une définition suffisamment large pour que chacun puisse y mettre ce qu’il veut,, précise Charlotte Girerd, directrice projets SNCF Immobilier, entreprise qui travaille régulièrement sur ce genre de projets, avec des opérations-phares comme Ground Control, la Station – Gare des mines, l’Aérosol, la Cité fertile à Paris, les Rencontres de la photographie d’Arles, ou encore le Festival Parenthèse de Rouen. Cela ne se limite pas à une simple occupation d’un lieu inusité. Nous avons une vraie réflexion par rapport à la nature de l’occupation et au contenu du programme. Le projet doit raconter l’histoire de la transformation du site. Il y a du sens à trouver, avant, pendant et après ». Il s’agit, en effet, de créer dans ces espaces a priori laissés à l’abandon, de nouveaux lieux de destination et d’attractivité. Avantage attendu, l’appropriation des lieux en transition par le public et, avantages collatéraux, croissance de l’activité économique, création d’emplois et valorisation économique pour le propriétaire.
Changement d’image
Une pratique qui n’est pas nouvelle, il y a toujours eu des territoires en déshérence, des friches industrielles en attente de conversion qui ont été occupées, certains diraient squattées. Mais depuis une dizaine d’années, ces espaces vacants, qui véhiculaient une image négative, sont désormais perçus comme des réserves foncières stratégiques dans un contexte de forte pression urbaine. « À ce changement d’image et de valeur, explique l’Institut Paris Région dans un opus consacré à l’urbanisme transitoire, s’ajoutent les évolutions des pratiques de la production urbaine et du projet urbain. On assiste à une démultiplication des acteurs participant au projet, avec une nécessité croissante de recyclage de sites existants. Il faut également composer avec le temps long de l’aménagement : le projet urbain comporte des temps de pause qu’il est possible d’optimiser ». Optimisation qui peut passer par une occupation éphémère, autre nom possible pour urbanisme transitoire.
A Rennes, l’Hôtel-Dieu devient, pendant 3 ans, un espace éphémère ouvert au public. Puis, cet ancien hôpital sera totalement transformé en 2023, suite à une grande opération immobilière.
Accompagner la transition
A la SNCF, deuxième plus grand propriétaire foncier de France, la question de l’occupation des lieux vacants s’est rapidement posée après la création de SNCF Immobilier en 2015 : « Notre structure est récente et nous avons souhaité que notre positionnement ne soit pas uniquement sur la cession de biens, mais sur l’accompagnement de la transition et ce, d’autant plus que nous sommes beaucoup sollicités. De fil en aiguille, nous nous sommes aperçus qu’il y avait une vraie attente. » Cette demande provient d’acteurs multiples qui interagissent ensemble – collectivités locales, associations, propriétaires, occupants – dans un but commun.
La culture d’abord
Ainsi si on ne prend que l’exemple de la SNCF depuis cinq ans, les projets se multiplient sur l’ensemble du territoire. Le Festival Parenthèse sur le site de l’ancienne gare de Saint-Sauveur à Rouen, un site ferroviaire de 15 hectares à proximité du centre-ville en attente de transformation en nouvelle gare TGV. Ici depuis 2016, le collectif rouennais Lucien organise de nombreux événements qui mêlent musique, photographie ou encore arts plastiques. Autre exemple, l’Aérosol sur le site d’Hébert Paris 18e, proche de la porte de la Chapelle. Deux années durant (2017/18), il s’est transformé en un lieu dédié à l’art et aux cultures urbaines, avec un véritable musée qui a présenté 300 œuvres retraçant l’histoire du graffiti de la fin des années 1970 à aujourd’hui. Citons encore le projet Ground Control sur le site de l’ancienne gare de fret d’Arles. Ce projet présente des expositions dans le cadre des rencontres de la photographie avec des espaces extérieurs aménagés en lieux de détente, de concerts, de projection ou encore de restauration. Le tout dans un décor qui rend hommage à l’histoire ferroviaire.
Des projets plutôt culturels mais qui aujourd’hui se transforment et couvrent des thématiques de plus en plus larges « jusqu’à l’agriculture urbaine et au co-working » et parfois sur des durées plus longues : « Il n’y a pas de règle, jusqu’à 10 ans sur une réserve pour projet ferroviaire ou 6 mois suite à changement de locataire ».
En dehors de la culture, l’urbanisme transitoire permet par exemple d’autres usages, comme l’insertion sociale. On peut citer le site des Grands Voisins à Paris, au sein duquel l’association Aurore propose des hébergements et des réponses innovantes en matière de lutte contre l’exclusion et l’isolement.
Modèle gagnant-gagnant
En bref, l’urbanisme transitoire permet d’expérimenter, et offre des opportunités à des structures qui cherchent leur modèle. Bien sûr pour l’opérateur et les occupants, l’opération doit pouvoir développer son propre modèle économique, lequel est souvent gagnant-gagnant : « Nous sommes partenaires de nos occupants. Suite à appel à projet, nous analysons les lieux, nous réalisons les travaux de base pour sécuriser le site et proposons un loyer raisonnable. Pour nous, il s’agit d’atteindre l’équilibre à la sortie par rapport à ce qui a été investi. Cela sera toujours plus intéressant économiquement qu’un bâtiment qui reste vide », conclut Charlotte Girerd.