voici venir des têtes de poisson qui chantent
voici venir des pommes de terre cuites déguisées
voici venir le moment où il n’y a plus rien à faire
voici venir la nuit d’insomnie
voici venir le téléphone qui sonne par erreur
voici venir un termite qui joue du banjo
voici venir un porte-drapeau aveugle
voici venir un chat et un chien qui portent des nylons
voici venir une mitraillette qui chante
voici venir du bacon qui grésille dans la poêle
voici venir une voix qui débite des choses ennuyeuses
voici venir un journal bourré de petits oiseaux rouges
avec des becs plats et marron
voici venir un con qui brandit une torche
une grenade
un amour mortel
voici venir la victoire qui porte
un seau de sang
et qui trébuche dans les baies
et les draps viennent se plaquer sur les fenêtres
et les bombardiers se dirigent vers l’est l’ouest
le nord le sud
puis se perdent
dans un long soubresaut
tandis que tous les poissons de la mer se
mettent en ligne et forment
une seule ligne
une seule longue ligne
une très longue ligne mince
la plus longue ligne que vous ayez pu imaginer
et nous sommes perdus
errant entre les montagnes pourpres
et nous marchons
aussi nus que la lame du couteau
ayant tout perdu
ayant tout recraché jusqu’au noyau d’olive
tandis que la fille du téléphone
hurle
« ne rappelez plus, pauvre cloche! »
*
The Most
here comes the fishhead singing
here comes the baked potato in drag
here comes nothing to do all day long
here comes another night of no sleep
here comes the phone ringing the wrong tone
here comes a termite with a banjo
here comes a flagpole with blank eyes
here comes a cat and a dog wearing nylons
here comes a machinegun singing
here comes bacon burning in the pan
here comes a voice saying something dull
here comes a newspaper stuffed with small red birds
with flat brown beaks
here comes a cunt carrying a torch
a grenade
a deathly love
here comes victory carrying
one bucket of blood
and stumbling over the berrybush
and the sheets hang out the windows
and the bombers head east west north south
get lost
get tossed like salad
as all the fish in the sea line up and form
one line
one long line
one very long thin line
the longest line you could ever imagine
and we get lost
walking past purple mountains
we walk lost
bare at last like the knife
having given
having spit it out like an unexpected olive seed
as the girl at the call service
screams over the phone:
“don’t call back! you sound like a jerk!”
***
Charles Bukowski (1920-1994) – Love is a Dog From Hell (1977) – L’amour est un chien de l’enfer (Grasset, 1977) – Traduit de l’américain par Gérard Guégan.