Un soleil en exil de Jean-François Samlong

Septembre, le mois de l’effervescence littéraire, apporte à chaque lecteur son lot de promesses… et augmente la pile à lire des passionnés. Pour cette rentrée j’ai choisi de parler du dernier livre de Jean-François Samlong, un auteur qui m’est incontournablepour deux raisons : j’aime la littérature engagée et passionnée de Samlong et j’aime La Réunion…
Dans ce roman, l’auteur aborde un pan de l’histoire française peu connu, entre 1962 et 1984, l’envoi forcé de gamins réunionnais pauvres pour peupler les zones rurales désertes de Métropole, l’histoire des enfants de la Creuse… une tragédie véridique racontée de façon romancée - je n’ose dire fictive - avec quelques rappels contextuels et historiques de l’auteur.
   « 1962. Chaque année, il y a 12000 à 13000 bouches de plus à nourrir alors que les ressources de l’île sont limitées. On se tourne alors vers l’émigration, car la jeunesse de l’île n’est pas perçue comme une chance mais comme une menace d’explosion sociale. »  p.18   « 1963-1967. Les familles d’accueil voient dans le dispositif de placement un moyen d’augmenter leurs revenus : 5400 francs CFA pour les mineurs de moins de quatorze ans et 6000 francs CFA pour les plus de quatorze ans.   Au début, afin d’éviter le choc de l’hiver ( La Réunion est sous les tropiques ), les arrivées se font entre le mois de juillet et le mois d’octobre. Mais à partir de 1967, les mineurs débarquent en hiver. » p.91-92  

C’est donc à partir de faits réels que Jean-François Samlong nous raconte le destin tragique d’une famille réunionnaise démunie : le père est en prison, la mère agonise après un avortement clandestin. Les trois enfants sont embarqués vers la France et se retrouvent à Guéret, immédiatement séparés.
   « L’irrésistible sourire de Manuel quand je l’ai embrassé. J’ai traqué ensuite le regard de Tony qui, parmi les autres mineurs, avait le regard du chien enragé. Ce genre de regard fait des êtres inadaptés, non des hommes tout disposés à se plier aux contraintes de la société, et il ne m’a pas fait le petit geste que j’espérais. » p.102
L’auteur donne la parole à Héva, l’ainée de la fratrie, pour témoigner de son histoire et de celle de ses deux frères. Cette jeune fille tenace et d’une intense dignité va vivre une dramatique adolescence, son récit est absolument poignant. Dans un monde rural décrit comme rustre et archaïque, raciste et glacial, elle n’a de cesse de retrouver ses petits frères, et nous fait découvrir pour quelques cas d’adoption réussie une multitude de récits d’enfants exploités, réduits en esclavage. Héva illumine le roman par l’amour et la bienveillance qu’elle dégage. Devenue adulte, encouragée par son entourage, elle trouvera dans l’écriture de l’histoire de son enfance volée un remède à sa souffrance.
   « Aujourd’hui, je sais bien que je mettrais des années à le terminer, ce livre, celui de ma vie. Nulle envie d’en finir avec. Quand je croyais n’écrire que pour moi, je me trompais. J’écrivais aussi pour tous les enfants de la Creuse et ma joie ne pouvait pas être sans souffrance dès l’instant où entre les lignes, dans les blancs et les pauses, je retrouvais ceux que j’avais aimés et perdus. » p.240
En refermant ce livre on reste un peu abasourdi devant un tel désastre humain qui s’est déroulé hier, chez nous, avec la complicité du pouvoir politique et sous les yeux des services sociaux. Le livre est clairement à charge et sans concessions, les rappels historiques sont glaçants, mais il y a cette lumineuse jeune fille née de la plume de l’auteur pour apporter un peu d’humanité…
 Jean-François Samlong nous montre, dans ce roman superbe et bouleversant, ce qu’est le soleil quand il est en exil. La littérature a le pouvoir de nous informer, de nous bousculer, afin que ces enfants devenus adultes ne soient pas oubliés, et c’est bien la moindre des choses qu’on leur doit.
 Françoise HervéUne analyse pour le blog Chez Gangoueus