Seconde partie de l'analyse de Valérie Sachs sur les conséquences du Non irlandais au Traité de Lisbonne
Que faisons-nous ensemble ?
Les Chefs d’Etat et de gouvernements européens pourraient enfin décider de procéder de façon politique et proposer de faire valider un « préambule » actant l’essence même de ce que nous européens voulons faire ensemble.
Le projet de paix, d’« une paix perpétuelle » à l’origine de l’aventure européenne, n’est plus aussi mobilisateur chez les nouvelles générations qui ne se reconnaissent pas nécessairement non plus dans le Grand Marché unique. Le projet d’une Europe politique ne stimule pas les esprits et ne suscite plus l’enthousiasme de l’après-guerre. Ce désenchantement lié à l’impression que l’Union elle-même a perdu les idéaux des Fondateurs, fait douter jusqu’à certains européens historiques qui pensent que le fantasme européen a vécu. Les mémoires nationales européennes sont, cinquante ans après, toujours aussi exclusives, et le rapport autocritique des peuples à leur propre histoire encore douloureux.
Cette paix qui nous semble aujourd’hui acquise, fonde le lien essentiel qui doit unir la « communauté légale» européenne à sa « communauté morale», une communauté de culture et d'histoire que seule l’orientation post-nationale de la citoyenneté européenne pourrait nourrir.
La citoyenneté européenne, aujourd’hui embryonnaire, indexée à la nationalité, protège et garantit tout citoyen européen contre les défaillances de l’Etat-nation. L'Europe se souvient avec nostalgie de Rome comme du berceau de la civilisation et de l'idée cosmopolitique. Cicéron a expliqué comment le citoyen romain avait deux patries3 : l'une de naissance qui le reliait à ses ancêtres, l'autre de droit, Rome, qui se superposait à la première et construisait une unité politique sur une diversité historique.
Plutarque4 a démontré qu'il n'y avait pas d'identité romaine au sens ethnique du terme. Et si Rome restait le modèle d'une attitude toujours d'actualité : un concept construit plutôt qu'un phénomène historique?
3 DUMONT (Gérard-François), dir., Les Racines de l'Identité Européenne, Paris, Economica, 1999.
4 BRAGUE (Rémy), Europe, la voie romaine, Paris, Gallimard, 1999.