Toutes les institutions financières – et même les banques centrales, depuis l'annonce de Libra – s'inquiètent de la concurrence que commencent à exercer les géants du web sur leurs métiers. Mais un autre genre de menace, déjà à l'œuvre, est susceptible de provoquer à moyen terme une crise majeure pour l'ensemble du secteur.
Le terrain sur lequel s'est engagé cette bataille vitale est celui des ressources humaines et les forces en présence y paraissent de plus en plus déséquilibrées. D'un côté, les grandes entreprises de la technologie maintiennent un appétit inextinguible pour des spécialistes de tous les domaines de l'informatique, surtout les plus en pointe. De l'autre côté, les groupes financiers cherchent à monter en puissance au fur et à mesure de leur prise de conscience que le logiciel constitue le cœur de leur activité.
Afin de combler leurs besoins quasiment infinis, les premières adoptent des démarches agressives, depuis les recrutements occasionnels des meilleurs éléments issus des banques jusqu'à l'installation de bureaux satellites au plus près des centres névralgiques de la finance. Facebook prévoit par exemple de doubler ses effectifs dans ses locaux de New York au cours des 3 à 5 prochaines années – dont plus de la moitié seront des ingénieurs – et une bonne partie d'entre eux viendront certainement de Wall Street.
De leur côté, les banques sont, elles aussi, dans une phase d'expansion et elles cherchent à renforcer leurs équipes informatiques à marche forcée. Non seulement ont-elles toujours besoin de personnes capables de prendre en charge les systèmes qui assurent le fonctionnement de leurs opérations « habituelles », mais elles veulent en outre saisir les opportunités (réelles ou supposées) des dernières technologies en vogue, telles que la science des données, l'intelligence artificielle, la blockchain…
Avec l'arrivée des GAFA dans leur jardin, leurs difficultés à remplir les postes ouverts vont se multiplier, décuplées par la nécessité de remplacer les collaborateurs qui répondront à l'appel de ces sirènes. L'enjeu est évidemment phénoménal quand on considère l'état actuel de l'industrie financière traditionnelle : le retard pris dans sa transformation numérique ne pourrait que s'aggraver si les personnes nécessaires à son exécution font défaut, peut-être jusqu'à un niveau d'obsolescence impossible à rattraper.
Les acteurs historiques vont donc devoir redoubler d'efforts pour affronter la concurrence à l'embauche et il ne pourra s'agir seulement de faire monter les enchères sur les salaires (ils ne sont pas certains de gagner à ce jeu) ou de faire miroiter des avantages superficiels. Là encore, la pression s'accroît pour insuffler un vrai changement dans la culture d'entreprise, afin qu'elle réponde aux attentes profondes des employés, et pour abandonner les technologies et pratiques antédiluviennes, qui tuent leur motivation.
Un dernier mot destiné aux banquiers qui imagineraient que les tourments de Wall Street ne les concernent guère : surveillez les nouvelles installations des GAFA dans les grandes capitales mondiales – notamment leurs laboratoires d'intelligence artificielle – et demandez-vous si vous êtes en mesure d'offrir les mêmes atouts que celles-ci aux candidats que vous rencontrez… Enfin, si vous avez l'impression que votre capacité de recrutement n'est pas entamée, pensez-vous avoir trouvé les stars dont vous avez besoin ou ne vous seriez-vous pas contenté de seconds-couteaux ?