Tout indique que, dans Au village, le village dans la campagne vaudoise, dont il est question, est Montricher et que les courts textes qui le composent ont été écrits le temps de l'été 2017, notamment la topographie des lieux, qui figure en pages 10 et 11, et la préface que lui consacre Philippe Rahmy.
Caractères mobiles est un collectif, composé d'une fille, Catherine Favre, née en 1978, et de deux garçons, Mathias Howald, né en 1979, et Benjamin Pécoud, né en 1981. Peut-être ont-ils séjourné cet été-là à la Fondation Michalski, qui, par un pur hasard, se trouve justement dans ce village...
Quoi qu'il en soit, le collectif a écrit, à la requête des habitants du village, trente-huit textes, en préservant sa liberté d'interprétation et d'expression, comme le dit Philippe Rahmy dans sa préface, qui relève que, dans ces textes, sa préoccupation, son champ d'investigation, c'est la littérature.
En fin d'ouvrage se trouvent indiqués les signataires de chacun des textes. Un seul d'entre eux, Des arbres à abattre, est signé des trois et deux, Au stand de tir et A la datcha, comportent les mêmes paragraphes, à quelques lignes près, ce qui indique qu'il y a bien eu connivence entre les deux signataires.
Les textes sont regroupés par secteurs géographiques du village: En bois désert (où se trouve la Fondation Michalski), La Grand-Rue, Les Âges (le nom d'une place), Petit Faubourg, La Forêt (frontière naturelle entre le village et les contreforts du Mont-Tendre) et Le Canada (un peu à l'écart).
Philippe Rahmy écrit dans sa préface:
La parole est poésie, voilà ce nous rappellent ces textes, elle nous traverse et nous fuit, comme nous transperce et nous porte le temps; poésie des choses qui passent sous nos yeux, poésie d'une formule involontaire, poésie d'une pensée récurrente, poésie partout et toujours insaisissable, dont Caractères mobiles serait le sismographe.
On ne saurait mieux dire.
Même si l'ouvrage est collectif, la voix de chacun se fait entendre en cette harmonie. Aussi a-t-on tout de même envie, n'en déplaise à ces caractères mobiles, d'immobiliser celui de Catherine, de Mathias et de Benjamin. Pour ce faire il n'est d'autre procédé que de citer chacun, en toute subjectivité bien sûr:
Matteo (début)
Matteo habite avec ses parents près d'une exploitation laitière.
la grenouille lasse que personne ne la taquine
s'en alla trouver la vachette sa voisine
l'amphibien demanda avec empressement
où donc avez-vous trouvé ce bel ornement?
si j'avais moi aussi un tel estampillage
je serai sans nul doute la reine des marécages
est-ce le numéro plastifié à mon oreille
dont le fermier m'a affublée qui t'émerveille?
Catherine Favre
La beauté sur terre (début)
Un habitant a passé commande en écrivant lui-même un poème.
Cher Ettore,
merci pour cette belle ode à ta localité
j'espère que tu me pardonnes de te tutoyer
nous faisons partie de la même fraternité
celle des amoureux de la terre et de ses beautés
Mathias Howald
Le temps d'une cigarette (début)
Une employée communale pour son fils, apprenti menuisier, dont ils fêteront l'anniversaire en famille le week-end suivant. Elle dit ne plus connaître grand-chose de lui.
Avec Marco, l'autre jour, on s'est assis sur le banc en face de l'école et on s'est allumé une cigarette. Marco, en soufflant la fumée, m'a dit que la nuit dernière, il a lu une phrase qui lui avait bien plu: la famille, c'est partager la même nourriture. Parce qu'au fond, qu'est-ce qu'ils avaient d'autre en commun, lui et sa famille? Ils partageaient rien mise à part la bouffe, et encore, seulement les soirs où il avait pas trouvé moyen d'être loin à l'heure du repas.
Benjamin Pécoud
Francis Richard
Au village, Caractères mobiles, 104 pages, Éditions d'Autre Part