Course est à l'origine une BD de Baladi sans texte. Toujours sans bulles, Pierre Yves Lador l'éclaire avec un texte à sa façon. Le résultat est là: une BD d'un nouveau genre, une histoire illustrée d'aujourd'hui sur ce qui meut les humains.
Selon Lador, le maître-mot commun de l'ouvrage, c'est invisibles. Mais comme il est savant et qu'il a beaucoup lu, le mot approprié serait plutôt anekphantes...
Qu'entend-il par là? Il entend par là les bactéries qui sont les créatures terriennes les plus nombreuses, des créatures microscopiques.
Et la Course? La course est horizontale, le rêve vertical...
Pour courir vite, plus vite, les humains se font porter: La phorésie est métaphorique pour eux. Même la terre les porte, comme une chienne puces et tiques...
Les humains courent tout le temps: Leur seule lenteur est celle du cortège funèbre.
Que reste-t-il d'ailleurs d'eux après la mort? L'os. L'os fait rêver, il est de notre corps la partie la plus durable, la plus proche de l'immortalité, de l'éternité, il est l'ultime trace de ce que nous fûmes, sommes, serons.
A tous ces humains qui courent, il rappelle: Il y a des milliards d'ossements dans la couche vivante et des milliards de bactéries dans nos intestins, vous ne les battrez jamais à la course...
Il leur rappelle donc par là même sur quoi ils courent: Vous courez sur vos ancêtres, que les invisibles ont dévoré avant leur pétrification.
Pierre Yves fait alors du Lador. Bienvenue dans son monde, où les mots se répondent et se répandent:
La putréfaction ou putréfiction, ou putrification, précède la pétrification et la putride purification. Les bactéries sont les agents de la métamorphose, pas d'histoires sans bactéries. Vous roulez inlassablement sur des tombes antiques.
L'exégète des dessins d'Alex Baladi se pose la question existentielle de l'écrivain face à eux:
Comment saurai-je si en regardant ces planches par mes yeux, mes nerfs, mon cerveau, mon corps, les bactéries de mes intestins sont influencées et me dictent le texte qui va les accompagner?
Pourquoi court-on? le questionne une de ces planches. Il répond:
On court pour fuir le passé, pour échapper à un ennemi ou pour attraper le désir par la queue, un rêve, une image, un fantasme, mais plus vite on court plus vite il s'enfuit.
N'en déplaise à Rabelais, qui ne doit pas déplaire à Lador, ce n'est pas le rire, selon ce dernier, qui est le propre de l'homme, c'est la course, car il veut la réalisation du rêve...
Francis Richard
Course, Alex Baladi et Pierre Yves Lador, 80 pages, (Y)
Livres précédents de Pierre Yves Lador:
Chambranles et embrasures, 192 pages, L'Aire (2013)
Confession d'un repenti, 240 pages, Olivier Morattel Éditeur (2014)
Les chevaux sauveurs, 200 pages, Hélice Hélas (2015)
Poussière demain, 360 pages, Olivier Morattel Éditeur (2018)