Notre entourage conditionne le développement (ou non) de notre storytelling et notre leadership.
J'utilise le résultat de recherches qui n'ont rien à voir avec le leadership en entreprise pour étayer ma réflexion. En effet, je me base sur une étude du CNRS sur le développement dans les familles, avec l'influence des fratries. J'utilise donc des analogies et des métaphores pour transposer ces enseignements à l'univers des organisations.
Les travaux des chercheurs du CNRS :
L'équipe de chercheurs a publié ses résultats en août 2019 dans la revue scientifique Psychological Science. Ils sont issu du milieu hospitalier, de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, de l'Ecole normale supérieure et de l'Inserm. Et vous en avez peut-être entendu parler : les médias grand public s'en sont fait l'écho. Et ce n'est pas si courant : les publications dans ce type de revues restent en général cantonnées au public académique.
Leurs trouvailles : les enfants qui ont un frère aîné ont un développement plus lent du langage que ceux qui n'en ont pas ou que ceux qui ont une soeur aînée. Difficile à priori de connecter cela au monde des organisations, mais c'est pourtant bien possible. Je vous explique tout.
Du storytelling familial au leadership narratif dans l'entreprise
Ce n'est pas la première étude sur le sujet. Des travaux précédents avaient déjà montré que, de manière très contre-intuitive, les enfants ayant des frères ou soeurs aînés font l'acquisition du langage d'une manière moins rapide que les enfants qui sont eux-mêmes les aînés.
Dans une organisation, entreprise ou organisme public, peu importe, l'aîné peut être un mentor, ou un manager. L'acquisition du langage peut être assimilée à la montée en leadership, la capacité (le droit et la légitimité) d'impacter, d'influencer, d'être, donc aussi, un storyteller. D'ailleurs, les paramètres pris en compte pour ce qui concerne la définition du langage par les chercheurs sont : le vocabulaire, la syntaxe, le raisonnement verbal. Autant de composants qui font partie d'un récit, d'une histoire efficace. Et effectivement, le rôle d'un manager (et encore plus celui d'un mentor) est d'amener un subordonné à pouvoir se révéler, atteindre un niveau plus élevé en terme de prise de responsabilité et d'autonomie. Quand on parle d'aînesse dans une organisation, elle peut être fondée sur le positionnement hiérarchique, la performance, l'expérience... Il y a plein de façons d'être considéré comme étant en posture de guider d'autres personnes dans une organisation.
La problématique de l'aînesse dans les organisations
On peut se fier aux grands discours dans les organisations, de développement des ressources humaines... ou pas. On peut effectivement bien plus souvent voir des organisations fonctionner sur le mode managérial du command and control (je donne les ordres et je contrôle leur bonne exécution). Ou pire encore : afficher une responsabilisation des subordonnées qui n'en est en réalité pas une. Je m'explique. Souvent, un subordonné responsabilisé va servir d'assise lorsqu'il s'agira, pour le manager, de ne pas faire reposer une défaillance ou un échec sur ses seules épaules. Bien sûr, en tant que manager, il aura toujours une présomption de culpabilité ultime, mais il ne sera pas seul en cause.
Donc, c'est une aînesse qui ne favorise pas l'empowerment, ou alors beaucoup trop rarement, pas mainstream en tout cas.
La transposition des enseignements des travaux du CNRS au développement du leadership et du comportement de storyteller dans une organisation
Donc, dans leur étude, les chercheurs du CNRS sont arrivés au résultat que les soeurs aînées n'ont pas l'impact négatif qu'ont les grands frères. La différence est notable : les grands frères sont la cause d'un retard de 2 mois, dans l'acquisition du langage, ce qui est énorme à l'échelle d'un enfant.
Les chercheurs ont leur petite idée sur le pourquoi du comment de cet état de fait. Les grandes soeurs auraient davantage tendance à se substituer aux parents en terme de temps d'attention, de disponibilité. Elles seraient aussi moins sujettes que les grands frères à une espèce d'auto-mise en compétition pour obtenir le maximum d'attention de la part des parents. Quand on parle de parents, il faut entendre, dans le monde du travail, l'organisation dans toute son autorité, la Direction. Et quand on parle de différence frères-soeurs, ce n'est pas, pour moi, une différence hommes-femmes. Je n'ai ni les données ni la légitimité pour faire ce genre de déduction. C'est bien plus (et là je peux en parler avec confiance) une différence de niveaux d'intelligence émotionnelle de la part du (ou de la) manager. Au risque de paraître misogyne, oui, pour moi, l'intelligence émotionnelle fait appel aux dimensions féminines de l'esprit managérial.
Donc, en déduction finale, je dirais que le niveau d'intelligence émotionnelle du (ou de la) manager détermine la capacité des subordonnés à monter en puissance et termes de leadership et de storytelling. Soit il est un facilitateur, soit il est un empêcheur, mais il est un principe actif et même décisif.
Les chercheurs du CNRS voudraient poursuivre leur travail en explorant également la dimension culturelle : l'impact de la culture familiale sur les résultats. Et bien, pour les organisations aussi, il serait intéressant d'étudier l'impact de la culture d'entreprise combinée aux comportements managériaux individuels.
En tout cas, c'était pour moi un bel exercice que de faire le parallèle entre l'étude du CNRS et le monde du travail, avec, bien entendu, toutes les limites (absence de certitudes à 100%) que l'exercice comporte.
Et pour en savoir plus sur le storytelling en France