L'acidité volatile en vain

Par Afust

Dans mes deux précédents billets j'essayais tout d'abord d'amener quelques éléments objectifs en rapport avec l'acidité volatile du vin avant d'en venir au cas du Coef 16 de Sébastien David.Je passe maintenant au coeur du sujet : ce qui s'est dit sur ce sujet.De ce point de vue les chroniques d'Isabelle Saporta, sur RTL, sont exemplaires.
Il est possible d'écouter la première en cliquant juste ici.
Elle nous y parle d'un jeune vigneron talentueux qui, dit-elle, vend son vin partout dans le monde et sur toutes les plus grandes tables de France.
Sauf que si cela permet de faire des effets de manche, cela ne vaut pas automatiquement certificat d'infaillibilité, même avec les amphores badigeonnées de cire d'abeilles qui semblent l'enthousiasmer.


Pour le reste :

"Pourquoi donc faudrait-il détruire cette production que les clients adorent ?"
Le client et le marché sont donc rois ? Vraiment ?
Ce qui se vend car des clients l'adorent gagne, de ce seul fait, le droit d'être présent sur le marché ? sans limite ? et ce quelle que soit la marchandise ?
C'est une blague ? tant Monsanto que les vendeurs de cocaïne vont adorer.

Et puis il y a aussi :
« huissier, laboratoire, contre analyses et nickel : plus aucune trace d’aucun défaut »
C'est n'importe quoi : d'une AV à 21.8 on passe, selon les dires de l'avocat de S David, à 19.3 (en prenant en compte l'incertitude analytique) et pour I Saporta çà devient "plus aucune trace d'aucun défaut".
Alors :
- d'une part il ne s'agit pas d'une analyse multicritères : on ne parle que d'acidité volatile, pas même de l'acétate d'éthyle. Donc le "plus aucun défaut" est une absurdité sans aucun fondement.

- et ce d'autant plus que le défaut n'a pas disparu, il est simplement (selon les dires de l'avocat de la défense) passé (à peine) en dessous de sa limite légale, et encore : en prenant en compte l'incertitude de la méthode !
"nickel : plus aucune trace d’aucun défaut » ?
Deuxième blague !
Il y a aussi ;
« pour ce vigneron, ces bouteilles représentent 80% de son chiffre d’affaires, les détruire c’est une mise à mort économique »
Pardon ?
le mec a 15 hectares et 2078 bouteilles à 25 balles représentent 80% de son chiffre d'affaire ?


Reprise par la quasi totalité des commentateurs, cette argumentation financière est très présente.
Il y a, par exemple, cet appel à l'aide des Cavistes alternatifs.
L'idée y est d'acheter 2078 bouteilles (vides) et de les payer 25 € (33.5 € avec le port).
"L'intégralité des recettes de cette campagne de collecte servira à compenser le manque à gagné causé par cette décision de justice ridicule, synonyme d'arrêt de mort pour l'entreprise agricole de Sébastien David."
Là, le niveau d'acidité volatile on s'en contrefout puisque les bouteilles sont vendues vides (çà fait un peu cher, non : 8.5 € de port pour une quille vide ?).
Juste un truc :
les quilles (vides) sont vendues 25 balles car c'est leur prix public lorsqu'elles sont pleines ... leur prix public avec la marge des cavistes et/ou des importateurs (puisqu'I Saporta nous disait que c'est vendu sur les meilleures tables et partout dans le monde, donc par des intermédiaires).
Est ce à dire que les cavistes (alternatifs) prennent leur marge sur des bouteilles vides vendues dans le cadre d'une opération présentée comme un sauvetage ?

Ca ferait désordre.
Mais s'ils ne prennent pas de marge çà veut dire que le producteur touchera deux fois plus en vendant une bouteille vide qu'avec la même, mais pleine.
Dans les deux cas c'est délicieux.
Les conséquences financières, le Figaro s'y est mis dans cet article.
"Mais coup de théâtre le 12 avril dernier, la préfecture d’Indre-et-Loire prend un arrêté d’urgence et demande à Sébastien David de détruire son lot dans le mois, ce qui constituerait pour lui une perte sèche de 50.000 euros. Une épée de Damoclès qui s’ajoute à une année 2016 déjà compliquée, ayant laissé des traces sur le plan financier. «Je n’ai pu produire que 12.000 bouteilles en 2016 car on a gelé à 80%», détaille-t-il."
Et voilà que le Figaro nous permet de comprendre ce qui "fonde" le propos d'I Saporta !
En 2016, avec 12000 bouteilles S David a fait 20% d'une récolte normale ? A la louche ça veut dire qu'en année normale il récolte grosso modo 30 hl/ha et que là il a dû se contenter de 6 hl/ha.
Dans ces conditions les 2078 bouteilles représentent une part relativement importante de sa production : 1/6ème en volume.

Ceci étant précisé : la mise à mort économique déplorée par I Saporta vient-elle de la DGCCRF (qui applique les textes réglementaires) ou du gel qui, dans ce secteur, a mis à mal le bilan de bien des exploitations ?
D'ailleurs que fait-on pour aider les autres ? je veux dire ceux qui n'ont ni autant d'acidité volatile dans leurs vins, ni autant de supports médiatiques ... mais une récolte aussi faible.

Le Canard Enchaîné embraye et précise cette histoire de finances : "2078 des ses fioles" .../... "manque à gagner de 50000 €" .../... "dont les cuvées cartonnent chez les cavistes"

En effet 2078 bouteilles à 25 € font environ 50000 € ... enfin, 50 000 € TTC ! il faut donc déduire la TVA du manque à gagner.
Et pas que la TVA ! car ces bouteilles sont vendues par des revendeurs, des cavistes (chez qui elles cartonnent) ou des restaurants (partout dans le monde
).
Au passage, notons encore une fois l'expertise oenologique de Maître Morain qui assène :

"Cela incite les vignerons à mettre encore plus de produits chimiques, pour maîtriser l'acidité volatile et ainsi éviter ce genre de procès".
Voilà : le seul problème posé par l'acicité volatile c'est les procès et soit y a des produits chimiques dans le vin, soit y a de la volatile.
Choisis ton camp camarade ! (avant lis quand même mon billet sur le sujet)


Chez J Berthomeau on trouvera, comme d'habitude, la copie soigneuse de ce que d'autres ont écrit avant lui (vivement qu'il s'achète un scanner, tout le monde gagnera du temps) :
"En l’espèce, l’interdiction de commercialisation du lot LC16 cause à Monsieur DAVID un préjudice financier important. En effet, selon les acheteurs (professionnels ou particuliers) de la production de Monsieur DAVID, la perte s’élève à une somme pouvant aller jusqu’à 25 € la bouteille, soit un montant total de 51 950 €."
Notons quand même le prudent "pouvant aller jusqu'à".
Il se trouve en effet qu'un caviste ne travaille pas que pour la gloire et qu'il applique donc un coefficient multiplicateur que l'on va estimer à 2.
C'est à dire qu'une quille vendue 25 € TTC a - au maximum - été achetée autour de 12.5 € HT ... qui est donc le prix de vente du domaine pour ce genre de professionnel.
En conséquence de quoi, avec 2078 bouteilles à 12.5 € HT, le manque à gagner a été diminué de moitié pour tomber à 25 000 €.
Je ne dis pas que ce n'est ni grave ni indolore. 

Je me borne à constater que ce qui nous est dit à propos des aspects financiers manque un rien de cohérence : si, comme on nous l'assène, les clients sont des professionnels et le prix de vente public est de 25 €, alors le manque à gagner du Domaine ne peut pas être de 50 000 €.
Je passe sur le fait que le Canard Enchaîné nous apprend que l'acidité volatile est, au même titre que la peste et le choléra, "une propriété naturelle" et que le dépassement "c'est infime".
A nouveau : on s'en fout c'est pas le sujet.

Mais il fallait bien mettre le mot "naturel" et indiquer que ces dépassements sont tellement infimes qu'il faut vraiment être un gros lourd pour les relever (nous en reparlerons lorsque le Canard Enchainé traitera à l'identique du SO2 et des vignerons au travail peu méticuleux).
Isabelle Saporta fait ensuite re-belotte avec cette autre chronique.Coeff 16 y devient la meilleure cuvée.
Bon, pourquoi pas ?
Au demeurant on s'en bat les couettes de savoir si c'est la meilleure ou la pire de ses cuvées : encore une fois, la question n'est pas là.
Il ne s'agit pas non plus de savoir qui la trouve glorieuse et qui la trouve désespérante, mais juste de valider son niveau d'acidité volatile.
C'est comme si je disais que je trouve ce ton insupportable, en faisant abstraction de ce qui est dit.
La question n'est pas là.

Quoique.
Même les vénérables 5 du vin s'y sont mis, avec ce billet.
"Naturally Sébastien had his own analysis (two tests) carried out by a laboratory. They found that contrary to the findings by the fraud squad that this wine did not have excessive VA. The same laboratory sells the equipment to the organisation that carries out testing for the fraud squad. ""Interesting that the DGCCRF sat on their hands allowing the 1855 scandal to continue, while pursuing a fine, small vigneron!"
Soupir ...
J'ai connu les 5 plus à la fête : quel est le rapport entre l'affaire "1855" et le contôle de la volatile du Coeff 16 ?
Et en quoi le fait d'être un fine small vigneron dispenserait-il de respecter les règles communes ?
fine et small est beautiful ?
and so what ?


Ce type d'argument (si tant est que l'on puisse qualifier ceci d'argument) se retrouve en bien d'autres endroits.
Par exemple dans le communiqué des Cavistes alternatifs que j'évoquais plus haut :
"L’analyse des échantillons par le BIEV (Bureau d’Investigation des Enquêtes Vinicoles) y aurait décelé une teneur en acidité volatile au dessus de la norme alors même que la technicienne du même laboratoire trouvait cette teneur « satisfaisante » après examen organoleptique. Sébastien procède alors à deux contre-analyses dont les résultats vont tous deux à l’encontre des résultats du BIEV et sont même en dessous de la norme européenne.
Pour l’anecdote, l’instrument de mesure utilisé par le BIEV leur a été vendu par ce même laboratoire où Sébastien a procédé aux contre-expertises. Et les techniciens de ce laboratoire de lâcher que « ce n’était pas la première fois qu’un employé du BIEV n’utilisait pas correctement l’appareil » !"

Que la technicienne d'un laboratoire, quel qu'il soit, trouve (à la dégustation) que l'acidité volatile d'un vin est "satisfaisante" ne saurait en aucun cas être la démonstration que l'analyse d'un autre laboratoire est foireuse.
C'est tellement évident que je ne comprends pas comment il se fait que j'aie à l'écrire.
Quant à dire, sans rire, que ceux qui font les analyses de la DGCCRF sont des truffes qui ne savent pas se servir de leur matériel ...

Je la refais car je ne m'en lasse pas : selon les Cavistes alternatifs, tout baigne puisque les fraudes ne savent pas faire une analyse et qu'en plus quelqu'un a dit qu'à la dégustation c'est satisfaisant.
Circulez, y a rien à voir.

J'enchaîne avec "le rouge et le blanc", intéressante revue qui affiche clairement son parti pris, ce que l'on ne saurait lui reprocher ... sauf peut-être quand cela frise la caricature ?
Mon billet est déjà bien trop long alors je ne ferai pas de recension, et me contenterai de commenter quelques points qui me semblent intéressants :


"Car, entre nous, Sébastien David n'est pas le seul des vignerons adeptes des vins "nature" à avoir embouteillé des cuvées qui ne plaisent pas à tout le monde et peuvent notamment présenter un haut degré d'acidité volatile."
Plus de marge d'erreur et autres incertitudes analytiques :  "un haut degré d'acidité volatile" est très clairement revendiqué.
Soit.
"Si ces vignerons de la limite s'autorisent des escapades dans l'au-delà, c'est souvent parce qu'ils ont confiance en leurs vins et en leurs clients."
Et donc ?
On nous refait le coup du tout est permis dès lors que certains sont prets à accepter tout et son contraire ?
C'est hallucinant.
"En outre, la crainte de ce type de dépassement marginal  du seuil d'acidité volatile pousse bien des vignerons à des pratiques autrement dangereuses. Par exemple à l'addition de doses massives de SO2 à la nocivité démontrée et dont les seuils autorisés devraient être en urgence revus à la baisse dans un objectif non pas gustatif mais sanitaire."
Quelles sont donc ces pratiques autrement dangereuses destinées à éviter la transformation du vin en vinaigre (car c'est bien de cela qu'il s'agit) ? je ne vois pas ce dont il s'agit, mais je ne suis qu'oenologue.
Des doses massives de SO2 ?
Allons bon !
Habituellement, en fin de FML on sulfite à la dose de 2 g de SO2 pour 100 litres de vin.
2 grammes pour 100 litres ? Massif !
La nocivité démontrée ?
De quoi s'agit-il ?
De l'intolérance aux sulfites ? (oui : intolérance, pas allergie).
Non, la nocivité démontrée doit plutôt faire référence à la fiche toxicologique du dioxyde soufre.OK : fiche toxicologique = nocivité démontrée.Bon, pas de bol : il en va de même pour l'acide acétique (qui est la cause de l'acidité volatile).
Nocivité démontrée tout pareil.
Un partout, balle au centre !
Il convient de veiller revoir en urgence, et à la baisse, tant les niveaux de SO2 que les seuils acceptables d'acidité volatile.

Peut-être est-il maintenant temps de faire un petit tour vers La Passion du Vin ? oui, oui : cette histoire est abordée sur le forum.
C'est un forum, alors on y trouve des commentaires contrastés et c'est une sacrée bonne chose, au milieu de tous ces avis univoques.C'est surtout un forum dédié au vin alors on y trouve aussi un commentaire de dégustation de la cuvée en question.
Extraits :
"Le premier nez de cabernet nature ne trompe pas.
.../...
La forme de la bouteille ne nous semble pas suspecte. Des cabernets nature il y en a des tétra-chiées entre Orléans et Saumur.
La chaussette tombe .Surprise c'est COEFF 16 de Sébastien DAVID
.../...
J'ai déjà bu 10 fois pire."
Un nez de Cabernet nature ?
C'est à dire ?
Qu'est ce donc qu'un nez de Cabernet nature !?!?
J'ai déjà bu 10 fois pire est un commentaire de dégustation réjouissant. Le genre qui fait vachement envie.
Mais le meilleur moment est :
"La forme de la bouteille ne nous semble pas suspecte."
Car juste en dessous vient le commentaire suivant :
""La forme de la bouteille ne nous semble pas suspecte"".
En effet j'ai servi en carafe"
J'adore, et me pose quelques questions quant à la spontanéité de ce commentaire que je qualifierais bien de suspect.
J'adore d'autant plus qu'il y a quelques années on m'avait, sur LPV, fait un procès en règle à propos de l'un de mes commentaires de dégustation qui avait été jugé peu crédible.
Là aussi : un partout, balle au centre.
Sans rancune, les mecs..Pour finir je relèverai un papier de la RVF dans lequel nous apprenons que :
"Pour Me Eric Morain, l’avocat qui a porté la requête de Sébastien David, ce jugement du tribunal administratif et le tweet "bancal et naïf" de la préfète, illustrent "l’obstination idéologique toute puissante de la DGCCRF"."

N'en déplaise à Me Morain, et au vu de tout ce qui précède, il me semble qu'il est possible d'envisager, sans grand risque de se tromper, que côté "obstination idéologique" il y a des candidats autrement plus affutés que la DGCCRF ...