Gilles Groulx est né dans une famille de classe ouvrière modeste de St-Henri, une famille de 14 enfants, en Mai 1931. Faire entendre sa voix, sa place, ça commençait tout jeune.
Il fait des études commerciales qui ne l'enchanteront guère quand ça le mènera au travail de bureau, qui l'ennui davantage. Il entre alors à l'école des Beaux-Arts où il se découvre une passion pour les arts visuels qui le mèneront vers la caméra. Il se débrouille pour se trouver une caméra Bolex et s'amuse beaucoup avec.
Si il n'allait pas être un col blanc, il serait un intellectuel. Aux Beaux-Arts, il sera soutenu par le mouvement automatiste de Paul-Émile Borduas.
En tricotant quelques films en 8 millimètres, il se fabrique un CV visuel et est engagé comment monteur pour CBC, la télévision nationale anglophone montréalaise. Trois courts-métrages personnels plus tard, son talent est recruté par l'Office Nationale du Film (l'ONF) vers 1956.
Son premier documentaire pour l'ONF est tourné à Sherbrooke dans le cadre du rendez-vous des Raquetteurs annuel qui s'y déroule. Il a une triple bonne idée pour un court 15 minutes. Il tourne l'hiver, un décor rare sur pellicule et qui peut vendre le Québec (ou pas) sinon impressionner les marchés étrangers. La neige est toujours belle sur pellicule. Il ne place aucun commentaire en voix off, rien pour nous guider, ce qui nous force à être 100% impliqués dans la festival. Comme si on y était. On se surprend même à rigoler quand on entend des gens dire, en voyant la reine du festival, couronnée, "Oh! 'est belle" et un autre dire aussitôt "'est pas si belle que ça".
Finalement, dans le même esprit, la bande son de Marcel Carrière, est spectaculairement vraie et directe (de là le terme cinéma-direct qui y sera ensuite appliqué) capturant un moment et nous impliquant toujours davantage comme si nous faisions partie du festival.
Son film et son montage sont brillamment exécutés, sans jugements, laissant le spectateur se glisser dans chaque scène. Ce type de distanciation du technicien et de rapprochement du public est un phénomène nouveau pour le Québec. Marquant.
Il sera déjà de retour, probablement ramené sur le chemin du plus traditionnel par ses patrons, avec un film sur Normétal, en Abbitibbi comprenant justement ce guide hors champs, mais ramenant toujours des images saisissantes de notre si beau Québec.
Il découvre alors le cinéma de Bernardo Bertollucci et tombe aussi amoureux du cinéma de Godard. Une passion qui ne le lâchera jamais. Il co-dirige (avec Claude Fournier) un court-métrage sur St-Pierre-et-Miquelon et fait parler les Français de ce côté des Amériques. Groulx est fascinant comme un anthropologue le serait. Pas surprenant que Pierre Falardeau en devienne un fervent admirateur.
Il se glisse ensuite dans le milieu de la boxe. Concentrant sa caméra sur les milieux durs et défavorisés, sur l'individu dans une communauté restreinte.
Toujours fort intéressé par l'aspect sociologique de ses sujets, voir ses sujets politiques, suite à la crise des missiles de Cuba, il fonce vers Miami, comme les bateaux le faisaient eux-même, et filme ce mouroir Québécois, toujours eldorado pour boomers dans le dernier tiers de vie. Il glisse de la poésie là où on pourrait y voir du marasme.
Son accent prononcé sur le travail de la bande son le rend unique. Mais son film suivant, une première fiction et un premier long métrage. signé de sa main, sera son chef d'oeuvre. Toujours très d'actualité. Le Chat Dans Le Sac est une métaphore, mise en scène par la relation d'un couple anglo-francophone montréalais, sur la maturité sociale du Québec. Groulx filme avec intelligence et ce film se rapproche de Godard. Ami du bassiste de jazz Jimmy Garrison, Groulx se sert de ce lien pour demander à nulle autre que John Coltrane de lui concocter une trame sonore. Ce que Coltrane oblige généreusement. Avec le brave Garrison à la basse, bien entendu.
Le film est un miroir pertinent des éveils sociaux d'ici. Aux questions toujours irrésolubles.
Notre centre de préservation nationale des oeuvres culturellement adéquates et conservables pour la postérité comme socialement pertinentes pour leur époque placera ce film dans ses voûtes. Ce centre a fermé ses portes en 2008.
Il choisit comme prochain projet de retourner vers le documentaire et sur notre sport national.
Son long métrage suivant sera un habile collage de l'envahissement des images dans la quotidien des Québécois. L'aspect social sera au coeur de toute son oeuvre. Le Québécois qu'il est, toujours au coeur des questionnements qu'il expose. L'utilisation du son dans ce film, le montage, sont fameuses. Ses sujets, presque toujours picaresques.
La même année, 1970, il signe un autre long-métrage, mettant en vedette Paule Baillargeon et Pierre Harel et questionne le collectif et l'individualiste, toujours au travers d'un couple.
Il tourne ensuite un réel appel à la révolution qui sera censuré par l'ONF et présenté, finalement, en circuit libre, seulement 5 ans plus tard. Cette année-là, 1977, il tourne une co-production avec le Mexique, traitant toujours de l'homme exploitant son prochain. Mais cette fois dans la ruralité du Mexique.
Grand admirateur du chanteur d'opéra Joseph Rouleau, il lui fait jouer un homme d'affaires dans son dernier film, une comédie musicale, une satire qu'il complète trois ans après les premiers coups de manivelles.
Car effectivement, il est victime d'un grave accident de voiture qui lui fera cesser de tourner. Après 1983.
Groulx était magicien. Et fondamentalement intéressé et intéressant pour le Québec.
Cette année marque les 25 ans de sa mort.
Il avait alors 63 ans.
Il y a quelques semaines, on a retrouvé les bandes maîtresses que John Coltrane avait enregistrées pour Le Chat Dans le Sac, pour Groulx. Dont il n'a utilisé que très peu.
On a rendu ça public et disponible sous le titre Blue World.