"Le mondial de football. Fête planétaire. Des milliards de gens rivés au même spectacle, au même instant. Toute différence culturelle abolie le temps d'une émotion partagée. Le triomphe de la mondialisation. Au milieu de cette belle réjouissance, un bémol : pendant que les ballons s'envolaient aux buts, des milliers de supporters s'envoyaient des putes. Quarante mille filles de l'Est, d'Afrique et d'ailleurs ont été apportées en Allemagne pour la fête, afin qu'en plus des jeux et du pain, il y ait de la chair à suffisance. A Berlin, on a construit de nouveaux bordels, tout confort. Pas un bleu, hélas , n'a daigné dire un mot sur le sujet. On les entend pourtant s'exprimer sur des enjeux graves: les banlieues, le racisme, l'immigration. Ce qu'ils disent importe car ils bénéficient d'une caisse de résonance telle que n'en possèdera jamais aucun penseur. Ce qu'ils disent à un retentissement, des favelas du Brésil aux jungles des Moluques. Mais que quarante mille femmes soient réduites en esclavage à la périphérie des stades ne leur a pas arraché un mot." Sylvain Tesson - Géographie de l'instant (Pocket)