(Notes sur la création) Marina Tsvetaïeva, in L'Art à la lumière de la conscience

Par Florence Trocmé

Timidité de l'artiste devant l'œuvre. Il oublie que ce n'est pas lui qui écrit. En 1920, à Moscou, Viacheslav Ivanov voulait me persuader d'écrire un roman : — « Il suffit de commencer ! À la troisième page vous constaterez qu'il n'y a aucune liberté », — cela signifie que je serai à la merci de l'œuvre, c'est-à-dire à la merci du démon, c'est-à-dire son dévoué serviteur, et rien d'autre.
S'oublier soi-même c'est avant tout oublier sa propre faiblesse.
Qui a jamais pu faire quelque chose, de ses propres mains ?
Laisser seulement son oreille entendre, sa main courir (et quand elle ne court pas — attendre.)
C'est bien pour cela que chacun de nous, après avoir terminé : « Comme cela a merveilleusement réussi !» et jamais : « Comme .je l'ai merveilleusement réussi ! ». Ce n'est pas merveilleusement réussi, c'est réussi par miracle, c'est toujours un miracle, c'est toujours une grâce, même si ce n'est pas Dieu qui l'envoie.
— Et la part de volonté dans tout cela ? Oh ! elle est immense. Ne fût-ce que pour ne pas perdre courage, quand on attend un vent favorable au bord de la mer.
Sur cent vers, dix me sont donnés, quatre-vingt-dix — commandés, laborieux, accordés, rendus comme une forteresse que j'ai conquise, c'est-à-dire enfin entendus. Ma volonté c'est justement l'écoute, ne pas se lasser d'écouter, jusqu'à ce que j'entende et ne rien noter qui n'ait été entendu. Ce n'est pas la feuille noircie (raturée de recherches vaines), ni la feuille blanche qu'il faut craindre, c'est sa propre feuille, celle de sa volonté personnelle.
La volonté créatrice est patience.
Marina Tsvetaïeva, L’art à la lumière de la conscience, traduit du russe par Véronique Lossky, Le Temps qu’il fait, 1998, p. 78-79.
Poezibao remercie Patrice Bride qui lui a transmis cette note.