Le souffle soulevant la houle des voilages
Laisse l’enfant trop frêle en aube mêlée d’air
Seule au seuil de l’adolescence.
L’on y remarque déjà l’attention prêtée aux éléments. Il en va de même pour l’organique et le minéral, soit les composants et attributs du règne de la vie, de la nature. Voir « Salamandre » :
L’eau garde un goût de rouille et de fougère
Où le noir lustré de la salamandre
Se glisse en secret sous l’ardoise
Et le dragon darde un regard d’or jaune
La couleur tient également, donc, une place primordiale, décuplant l’effet de sensation. Ce dernier, majoritairement visuel, donne une place aux sons et aux odeurs, comme les réminiscences que pourrait provoquer un ancien album de photos. Mais le passé n’est pas spleen. Dans « Brodeuse », « Lessive » ou « Guipure », l’auteure raconte simplement sa mémoire des Côtes d’Armor traditionnelles, dont elle est originaire : les taches attribuées aux femmes, l’importance du vêtement et de la matière, la pêche… La froideur, presque, de ces images mémorielles fixées dans une "éthernité" par l’écriture, dans un tout, contraste avec la volonté d’une restitution picturale, d’une part, traitant des détails, des teintes. Et documentaire d’autre part, considérant la précision de termes peu usités empruntés à des lexiques spécifiques (anatomique, botanique, mythologique…) L’usage de ces termes, par frottement, produit une certaine chaleur, donne corps aux images, laisse poindre une façon minutieuse d’être présente à la vie. Cette dualité imprègne le recueil, rien que par les titres des quatre parties : « Seuils » et « Ajours » d’un côté, « Buées » et « Lune de Mars » de l’autre. Elle naît sans doute du trouble de l’adolescence ; évidemment des impressions de lieux bretons où se côtoient Zeus et Poséidon (une illustration dans « Iris » : « Le champ comme un soleil humide »). Autour des mots rares, la simplicité de la tournure – renforcée par l’usage quasi permanent du présent – met en relief le sens des évocations. Qui se passent éventuellement de pittoresque, rappelant une manière japonaise ancestrale, tel « Gong » :
La pluie scintille aussi sur le vieux pont
Silencieux le corps mince et précis
Se dessine en profil d’estampe
Poncé sur le gris fin des saules.
Des formes plus longues (« Fugues », « Reliques » …) soulignent enfin une indistinction choisie entre la prose et le poème, le paragraphe et la strophe. Les images se dessinent en quelques touches, portant la conception d’un temps bref et répétitif ; elles emportent vers un rapport figuratif mais symbolique au texte. En mêlant à son œuvre des citations de poètes français baroques et de la Renaissance, Françoise Morvan s’inscrit dans une lignée d’émailleurs de sons et de mots. Dont émanent retenue et intériorité, celles d’une narratrice, au fond du blason, qui ravive tant une culture que sa propre histoire.
Antoine Ponza
Françoise Morvan, Buée, Mesures, 2019, 152 p., 18€.