D'abord écouter, puis échouer vite…

Publié le 06 septembre 2019 par Patriceb @cestpasmonidee
Savoir arrêter ou réorienter un projet rapidement quand on se rend compte qu'il ne répond pas à l'objectif initial fait partie des disciplines les plus difficiles à appréhender dans les démarches d'innovation. Cependant, quand celle-ci est maîtrisée, il ne faut pas non plus qu'elle devienne une facilité, en lieu et place d'autres bonnes pratiques.
Ma réflexion du jour est inspirée par les échos d'une intervention de Jeff McCann, directeur général d'Apollo Exchange, une place de marché canadienne d'assurances destinée aux courtiers. Il y explique l'importance pour son organisation d'être capable de reconnaître les échecs au plus tôt dans la mise en place de nouvelles solutions, afin d'éviter des déperditions de ressources et d'énergie. À l'appui de sa démonstration, il cite l'exemple d'une initiative qu'il a dû abandonner, faute d'adhésion par ses clients.
L'idée de départ paraissait de bon sens. Dans le cas où le dossier soumis par un courtier n'entrait pas dans les critères (standardisés) d'Apollo Exchange et se trouvait donc rejeté, il s'agissait de le transmettre directement à une sélection de compagnies d'assurance, épargnant ainsi au demandeur de multiplier les dépôts identiques sur différents sites. Pourtant, une fois le service mis en place, les utilisateurs se sont plaints car ils souhaitaient décider du traitement de leurs recherches. Il a été promptement stoppé.
Or, dans cette histoire, l'entreprise a commis une faute, qu'elle aurait pu facilement éviter si elle n'était pas tombée dans le piège de l'idée géniale. Certes, il était positif pour Apollo Exchange de prendre conscience du rejet de ses clients et de ne pas s'entêter, mais elle aurait pu s'épargner entièrement la mise en œuvre de la fonction incriminée en respectant quelques jalons préalables dans l'exécution de son projet d'innovation.

Reprenons le cheminement qu'a suivi ce concept avorté : l'équipe en charge du produit identifie spontanément une opportunité d'amélioration qui lui paraît être totalement bénéfique pour les utilisateurs et, considérant que le coût restera modéré (apparemment, les projets plus conséquents empruntent un autre processus), elle se lance immédiatement dans le développement. Ce n'est qu'après le déploiement qu'elle découvre qu'il existait un obstacle rédhibitoire, qu'elle n'a pas vu venir.
De toute évidence, le problème aurait pu être décelé beaucoup plus tôt et c'est exactement ce que permettrait une approche un peu plus structurée. Dès les prémices, l'enjeu devrait porter sur l'admission que l'innovation proposée repose sur un certain nombre d'hypothèses, qu'il faut valider le plus vite et le plus efficacement possible. Pour ce faire, il existe de nombreuses techniques et mettre le produit fini entre les mains du client final est certes la plus sûre, mais elle est onéreuse et rarement indispensable.
Dans le cas d'Apollo Exchange, la validation de l'intérêt potentiel des courtiers pour le futur service envisagé est critique car son principe est uniquement le résultat d'une intuition. La logique veut que, dans ces conditions, son inventeur interroge quelques-uns des utilisateurs ciblés, peut-être avec une simple présentation, peut-être avec une maquette, voire un prototype, et évalue leurs réactions. Si cette étude préliminaire avait été menée, aucun développement n'aurait vraisemblablement été engagé.
La notion d'échec rapide est le mécanisme par lequel les entreprises apprennent à passer leurs investissements par pertes et profits au « bon » moment. La réussite et la performance de l'innovation, quant à elles, invitent à la mise en place d'un modèle rigoureux dans lequel les personnes impliquées sont capables de repérer et de remettre en cause leurs a priori et leurs biais, en procédant à des vérifications systématiques des postulats, notamment les plus fragiles, et en acceptant inconditionnellement leur verdict. Les deux dispositifs sont complémentaires mais ne sauraient être confondus.