Dernier ouvrage de la première sélection pour le Prix du polar, un autre texte français (le cinquième sur six titres), La sirène qui fume de Benjamin Dierstein.
Le livre s’ouvre sur une préface de Caryl Férey qui en vante les mérites. Et cela, pour moi, est mauvais signe. Je n’ai lu que le Haka de Caryl Férey, mais son type de roman fait partie de la vague des copies de Grangé (et de ce que Grangé lui-même produit pratiquement chaque année). Un rythme effréné, des détails morbides supposés choquer le lecteur, un dépaysement quelconque, un duo de protagonistes, un tueur en série ou une série de meurtres – entre autres éléments récurrents – tout cela pour une intrigue assez simpliste à l’arrivée, ou surfaite (c’était le cas avec le dernier Grangé lu cette année, La terre des morts, qui m’a confirmé définitivement que j’avais fait le tour de cet auteur, dès l’instant où j’avais lu Les rivières pourpres et Le vol des cigognes). Bref, je pars avec un a priori négatif…
Mais le côté survolté de Dierstein a de quoi embarquer son lecteur. Il y a des passages haletants, parfaitement justifiés (ça mérite d’être noté quand on constate les différentes tentatives anecdotiques et ratées – chez Malo ou Buffard), notamment une phrase de quatre pages qui suit le rythme du protagoniste et de ce à quoi il assiste, ce qu’il subit et ce qu’il fait (p. 265-268) : on en verse pratiquement quelques gouttes de sueur.
L’ambiance du livre est sombre, glauque, les personnages ne sont pas épargnés, l’intrigue est noire : des gamines qui se prostituaient sont tuées dans Paris, plongeant parfois le lecteur dans des détails macabres – mais sans tomber dans l’improbable (et c’est là encore un bon point).
Le moteur du récit, deux flics : Gabriel Prigent et Christian Kertesz – un type plutôt intègre au point d’avoir balancé des collègues, un pourri avec sa morale. Et Dierstein alterne l’un et l’autre, osant un jeu plutôt risqué, faire parler l’un à la première personne, l’autre à la deuxième, une alternance de chapitre en chapitre entre le « je » et le « tu ». Ca a de la gueule et, sur le long terme, ça marche globalement bien. Peut-être deux fois un rapide changement de perspective ou un détail de trop sur un autre personnage qui donne la sensation que Benjamin Dierstein n’a pas respecté son cahier des charges à la perfection (p. 312-313 par exemple), mais cela tient vraiment du détail sur l’ensemble du récit. Autres choix stylistiques qui s’accorde très bien au récit, l’incrustation de dépêches radio au fil du texte, et la quasi-absence de points de suspension (hors dialogues) – souvent, à cause d’un retournement soudain, la phrase ou le mot sont coupés et sautent directement au paragraphe suivant. Cela participe de façon évidente au rythme intense de l’ensemble.
Dierstein tient sur plus de 600 pages son récit et parvient à le relancer régulièrement, la mort d’un suspect (p. 269) et une partie de la mise en scène fait penser que l’auteur a vu la première saison de True Detective et s’en est inspiré pour son univers.
Pendant des centaines de pages, il y a de quoi se régaler à plonger dans le récit, à voir les personnages perdre pied, renforcer leurs convictions, devenir un peu plus extrêmes. Et puis…
Et puis, arrivent les dernières dizaines de pages, et ce qui était à craindre se produit : le récit va trop loin. Les traumatismes des personnages ne nourrissent plus l’intrigue, ils deviennent trop grossiers, les situations montent d’un cran de trop et le récit se noie dans le surfait. Le sommet est atteint avec des scènes directement empruntées à Scarface (une fois de trop, ce qui n’arrange rien, p. 601 pour la deuxième), et une préparation armée digne d’un Rambo II : « j’enfile mon pare-balles, mes bottes, mon couteau de chasse, un poignard Bowie, quarante centimètres de lame, je le glisse à ma ceinture, je prends mon Sig Sauer, chargé, capacité quinze coups, plus un deuxième chargeur, dans la poche de ma veste, plus le fusil d’assaut, emprunté au bureau, un HK G36, sept cents coups par minute, portée potentielle deux mille cinq cents mètres, magasin rempli, cent balles de calibre 5,56mm OTAN, que j’attache en bandoulière, dans mon dos, et puis j’avance, au trot, comme à l’entraînement » (p. 610). C’est trop. Rien n’a préparé le lecteur à une telle avalanche de détails inutiles, là où ce qui précède est plutôt sobre dans le détail des armes ou des équipements et donne alors l’impression de se retrouver dans la description millimétrée digne de Tom Clancy.
Quel dommage, après plus de 500 pages à haleter aux côtés des personnages, de finir avec une sensation d’étouffement, de trop-plein, avec du macabre injustifié, avec un antagoniste principal trop vite expédié ad patres, et des fantômes du passé aux traits tellement épais qu’ils en deviennent grotesques. Le résultat, c’est un très bon polar qui s’écroule sur la fin et gâche le plaisir de lecture qui précédait.