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On a rarement aussi bien traduit les sentiments ambivalents
d’une fille envers son père que dans le premier roman d’Anne Pauly, Avant que j’oublie, qui vient d’être
salué – à juste titre – par le Prix Envoyé par la Poste. On y rit et on y
pleure dans le même hoquet, à tel point qu’on ne sait plus, souvent, si l’on
pleure de rire ou si le rire est une réaction nerveuse au chagrin.
Le moment est précisé dans la première phrase : « Le soir où mon père est mort »,
sans qu’il soit nécessaire d’en savoir davantage par rapport au calendrier
(même si on apprendra, plus tard, que l’enterrement se fait le 4 novembre 2012).
C’est d’une chronologie intérieure qu’il est question, quand prend fin la
relation avec un être autant honni qu’aimé.
Anne, la narratrice – pas un instant on ne songera à s’étonner
du prénom en commun avec l’autrice, tant ce livre semble sorti, ou plutôt
arraché, des tripes et du cœur de celle qui écrit –, face à la disparition d’un
homme dont, au fond, elle ne sait que penser, cherche, dans les événements à
venir ainsi que dans les souvenirs et les traces du passé, à comprendre où elle
en est par rapport à lui. Elle devra bien admettre qu’elle pense tout et son
contraire, et que c’est bien ainsi.
Elle se souvient de la boisson et de la violence – cette violence
dont le frère d’Anne a en partie hérité, comme d’une colère sans raison d’être
mais profondément ancrée dans sa nature, une violence cependant jamais exercée
contre elle.
Au passage, une question sur la coïncidence entre la passion
du père pour le zen et l’arrivée de l’alcool dans sa vie : « Au fond, on ne sait jamais vraiment
si quelqu’un boit pour échouer ou échoue parce qu’il boit. »
Un comique de situation, grâce à d’imprévisibles incidents,
fait mine d’alléger ce que le sujet a de douloureux. Au cimetière, devant la
tombe, le croque-mort en chef, dont Anne se dit – elle connaît le sujet – qu’il
a dû faire étape au bistrot, se fend d’un discours vaseux qui, parti de rien,
ne va nulle part. « Décidément, tout
se répondait dans le vaste univers : c’était un ivrogne qui avait eu le
dernier mot. »
Auparavant, Anne aura eu quelques raisons de retrouver
quelques raisons de justifier l’admiration qu’elle éprouvait, presque malgré
elle, pour ce père à la fois indigne et magnifique : « L’église était sold out,
pleine à craquer et il y avait carrément un bouchon près de la porte d’entrée.
Alors mon cœur s’est regonflé. Ainsi, mon père était aimable et je me suis
demandé comment j’avais pu un seul instant en douter. »
Avant
que j’oublie exprime
un malaise qu’il n’était pas temps de mettre au jour avant la disparition du
père. En son absence, il devient possible de démêler les inextricables contradictions
– sans les résoudre, bien entendu.