Quatrième de Couverture
Missionnée pour un casting aux allures de défi, Damya arpente les rues de Paris à la recherche d’une centaine de figurants : efflanquées, défaites, ces ombres fragiles incarneront les déportés dans un film adapté de la Douleur de Duras. Par sa présence si vive au monde, ses gestes de danseuse, son regard alerte et profond, Damya mue en vraie rencontre chaque échange fugace avec les silhouettes qu’elle repère – un marcheur qui ne retient du temps qui passe que l’usure de ses semelles, Amalia, oiseau frêle en robe pourpre de la gare Saint-Lazare, ou ce jongleur de rue aux airs de clown fellinien. Mais dans le dédale de la ville, Damya a surtout l’espoir fou de retrouver le garçon d’un rendez-vous manqué – par la force tragique d’un soir de novembre 2015 – et dont le souvenir l’obsède. Casting sauvage est une magnifique traversée de Paris, un roman intense et grave dont la ville aux mille visages est la trame et le fil, habitée par la mémoire de ses drames et rendue à la vie par tous ceux qui la rêvent… Un walking movie qui offre aux âmes errantes comme un recours en grâce.
Mon avis
Casting sauvage nous entraîne dans un Paris post novembre 2015 où la reconstruction n’est pas chose aisée, où les cicatrices brûlent encore. Damya, ancienne danseuse au destin exceptionnel brisé par cette attaque, erre dans les rues parisiennes à la recherche de figurants mais surtout d’elle-même. Ce soir de novembre elle a perdu son avenir, ses rêves, ses espoirs. Elle ne réussit pas à avancer tout simplement parce que se reconstruire signifie savoir sur quelles fondations il faut se baser : Damya ne sait plus, elle marche sans avancer, se réveille chaque matin sans réellement s’éveiller à nouveau.
À travers sa quête de figurants pour un film sur les camps de concentration, Damya se retrouve à chercher des regards qui lui rappellent sûrement son propre reflet dans le miroir : des âmes hagardes, brisées, incapables de rattraper la vie en marche et faisant du surplace sans savoir par où commencer pour revivre. Les événements de novembre 2015 permettent ici à Hubert Haddad d’explorer ces âmes perdues, ces personnes abattues par des épreuves affreuses, marquantes à vie. Comment se reconstruire après l’horreur ? Comment remettre le pied dans l’engrenage de la vie quand notre routine a volé en éclats d’un seul coup sans retour en arrière possible ?
L’écriture de Hubert Haddad n’est pas légère, elle est dense et lente à la fois, elle impose un rythme tout en slow motion qui peut rendre la lecture fastidieuse mais qui, en même temps, colle à la perfection au livre qu’elle compose. Damya observe, elle décortique, elle s’arrête entre deux courses à travers la ville pour trouver les silhouettes parfaites, parce qu’elle cherche aussi à retrouver un rythme, sa propre vie. L’écriture complexe et sublime à la fois freine la lecture quand il le faut et la relance aux moments clés. Ce n’est pas évident à chaque page mais sans cela, le livre n’aurait pas la même saveur.
J’ai apprécié ma lecture, la construction mise en place par l’auteur ainsi que les axes qui y sont développés. Cependant, je n’ai pas réussi à aller au fond de l’émotion que je recherchais : l’exercice littéraire m’a beaucoup plu mais son impact sur mon âme n’a pas eu lieu. Je suppose que la qualité sur le papier ne suffit pas toujours à me toucher. Cependant, si la qualité littéraire d’un livre est le moteur de votre plaisir littéraire, n’hésitez pas à lire ce roman, vous ne devriez pas être déçus.
« Seule Damya ne sait plus danser. Des meurtriers indélicats ont brisé son élan. Elle avance désormais en exclue, débusquée d’un songe intrépide, par-delà la clôture du corps. À cause d’un genou déclencheur d’alarme aux portiques de contrôle. Elle aurait préféré perdre un sein ou un bras. Il n’y a pas de salut pour l’interprète empêché. Le chanteur rendu muet n’est plus qu’une flûte sans bec, la ballerine claudicante donne à rire ; l’artiste, lui, garde tous ses pouvoirs, même borgne, deux fois sourd ou totalement paralysé. »