D’abord parce que l’adaptation théâtrale a été faite par le même Jean-Paul Lilienfeld qui avait écrit le scénario du film passé sur ARTE en 2008. Elle est forcément très juste.
Ensuite parce que la mise en scène de Frédéric Fage permet à chaque comédien d’exister. Il a réussi à installer une atmosphère de huis-clos tout en suggérant ce qui se passe (ou se trame) à l’extérieur. Ensuite pour le jeu parfait de tous les comédiens qu’il faudrait citer sans exception.
On comprendra que je commence par mettre en lumière Gaëlle Billaut Danno qui succède ardemment à Isabelle Adjani, dont l'interprétation avait été couronnée d'Etoile d’Or du cinéma français catégorie du Premier Rôle Féminin français (2009) et Globe de Cristal (2010).
La représentation commence avec la découpe de la silhouette de Sonia Bergerac nimbée d'une lumière de pleine lune qui installe la tragédie. La jeune femme est professeure auprès d'adolescents qui s'amusent à la pousser à bout.
La crainte majeure de l'enseignant est de manquer d'autorité et elle tente de faire face avec dignité. Un incident va alors tourner à la prise d'otages. Si ce type de situation est toujours plausible, dix ans après le tournage du film, il n'empêche qu'il est aussi le support d'une critique de la domination masculine opprimante, que ce soit parmi les élèves, dans les rapports hiérarchiques qui écrasent les profs, ou encore dans la condescendance manipulatrice finement suggérée du négociateur.
Il est terrible de constater que pour avoir "le droit" de se faire entendre il faille être armé d'un pistolet. Et chacun à tour de rôle, exprimera (enfin) son opinion.
N’allez pas croire que l’auteur a exagéré la nature des relations entre profs et élèves dans ce type d’établissement. J’ai connu semblable contexte quand j’ai travaillé dans un collège classé PEP 4 Violence. Je n'y suis restée qu'une année mais je garde le souvenir intact de nombre de conflits. J’ai vécu plus de moments cauchemardesques en l'espace de dix mois que bien des gens n'en connaitront dans toute leur vie.
Plusieurs me sont revenus en mémoire depuis cet été alors que je croyais avoir réussi à tirer le rideau. Le théâtre à ce devoir d’alerter. Oui, il ne faut pas, et ce n'est qu'un exemple, confondre les mots injure et opinion.
Les retournements de situation sont captivants. L'auteur dénonce aussi ce qu'il appelle le réflexe de culpabilité post-coloniale, consistant à assigner malgré eux les immigrés et leurs enfants à une irresponsabilité collective, ce qui lui semble être le summum du néocolonialisme, écrit-il dans une note d'intention.
Cette Journée de la jupe s'inscrit parmi les pièces essentielles. A de nombreux titres. On y viendra pour se distraire, apprécier le théâtre, admettre que l'école est un modèle réduit de la société, s’interroger ... et considérer ensuite (malgré tout) combien la vie est belle.
La Journée de la jupe, de Jean-Paul Lilienfeld
Mise en scène par Frédéric Face
Avec Gaëlle Billaut-Danno, Julien Jacob, Sissoko Abdulah, Hugo Benhamou-Pépin, Lancelot Cherer, Amélia Ewu et Sylvia Gnahoua
Lumières d' Olivier Oudiou
Musique de Dayan Korolic
Vidéo de La cabane aux fées
Fréderic Fage a également mis en scène Lettres à Anne, qui se joue à 19 h au Sham's. J'en avais vu une lecture très prometteuse avant le festival. Le spectacle a beaucoup gagné depuis avec des modifications dramaturgiques faisant intervenir la parole de la principale protagoniste.
Enfin, le Théâtre du Balcon programme aussi pour la seconde année Suite française à 20 h45 mise en scène de Virginie Lemoine, avec entre autres Béatrice Agenin et Florence Pernel, que l'on peut respectivement applaudir dans Marie des Poules à 18 h au Buffon et Comment ça va ? à 16 h 10 à la Luna (spectacle chroniqué à sa présentation en avant-première à Paris).
Egalement à 22 h30 Déglutis, ça ira mieux, auquel je consacrerai un billet spécifique, en lien avec le sujet traité.